Discours et anecdotes de la forêt des bambous plus hauts que les montagnes mais moins vastes que le ciel
La nuit emporte les conseils
Une fois arrivé au pied de l'arbre, je vois ses feuilles, non pas depuis le sol mais comme si j'étais éparpillé au dessus d'elles, mon regard fixé sur chacune. Sur ces feuilles se trouvent ceux que j'aime, ceux que j'ai aimés et ceux que j'aimerai et tant d'autres que je ne connais pas : il y a maman et papa, le maître des novices, l'ermite de La Croix Radieuse, l'évêque Sancy, frère Jacques du Saint Sépulcre et aussi mes frères et mes sœurs, leurs enfants, et puis Madeleine, et puis des moines de la forêt avec leurs noms étranges et leurs coutumes bizarres ; il y a aussi le sauveur mais il n'est pas celui que j'ai rencontré, pas celui qui m'a secouru quand tout un chacun me regardait m'enfoncer dans la grande ténèbre sans bouger un cil. Non, celui que je vois sur une feuille de l'arbre est le sauveur des théologiens, des peintres et des historiens.
Et tous sont là, sur ces feuilles, et c'est l'automne, et il y a du vent, un vent tiédasse aux relents de pourriture. Peu à peu, chaque feuille se détache de l'arbre et tombe doucement vers le sol.
Parfois, une rafale de vent s'empare de l'une d'elles et l'emporte avec vigueur dans un tourbillon effréné.
Et, sur les feuilles, tous ceux que j'aime, ai aimés et aimerai mais aussi ceux dont j'ignore tout crient la même chose depuis l’abîme, les mêmes mots, encore et encore, à satiété et au delà :
« Où es-tu ? »
Je ne sais pas.
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