Les souris du Golgotha
Épopée des peuples muridés
En un bien mauvais jour, en un certain pays,
S'affolait sans recours une mère souris.
Son entière journée, elle l'avait passée
À se claquemurer, inquiète et agitée.
Elle cachait cela pour le bien des enfants
Et taisait son état tout en les reprenant :
« Calmez-vous donc un peu, il n'arrivera rien !
Et puis tenez-vous mieux, tous ces tracas sont vains !
Et toi c'en est assez, dit-elle à son mari,
Tu devrais essayer d’apaiser les petits.
Nous avons des ennuis et toi tu restes là !
Tes soucis, tu les fuis, cela ne m'aide pas. »
Le mari fort marri de son inaptitude
À aider son aimée tremblante d'inquiétude
S’écria « Il suffit ! » et sortit pour chercher
Hors de son doux terrier la source du danger.
Si le monde pour nous semble être dangereux,
Qu'est-il pour la souris ? Le plus odieux des lieux ?
Pourtant Monsieur Souris, s'en remettant à Dieu,
Jaillit hors de son trou tel un combattant preux,
Mais il eut le bon sens de calmer ses ardeurs,
Aiguisant sa prudence au rythme de sa peur.
Il entendit des pas, des rumeurs et des chants,
Des cris désespérés puis des gémissements,
L'affreux bruit du trépas qui succède aux tourments
Et le rire sans joie qui secoue le méchant
Puis le son du marteau qui donne la cadence
Aux lazzi des passants alimentant leurs vices
En jouissant des douleurs de l'objet du supplice
Dessous les gras corbeaux venus faire bombance.
La souris se disait : « Cela n'est pas nouveau !
Les humains sont ainsi lorsqu'ils sont en troupeaux :
Ils aiment se moquer et aussi humilier
Ou alors torturer avant de massacrer ;
Mais ils sont si joyeux, voilà qui est curieux !
Même les plus furieux me semblent presque heureux... »
Et la brave souris cheminait doucement ;
Elle avait pressenti un désastre imminent.
Ce fut vers le sommet du mont qu'elle arpentait
Qu'elle eut le sentiment qu'un destin l'attendait.
Monsieur Souris pensa à sa chère moitié
Et à ses beaux enfants qui faisaient sa fierté ;
Il puisa du courage au cœur de son amour
Puis reprit le chemin qu'il suivit sans détour :
Notre ami n'était pas de ces gens que l'on berce
Avec des songes creux que la bise disperse.
Parmi les crucifiés, il se trouvait un homme ;
Pour un peu la souris aurait même dit « l'homme ».
Il semblait n'être rien mais aussi être tout
Et plus rien n'était vain car il vous aimait vous.
Monsieur Souris savait mais ne crut pourtant pas
Que l'on pût désirer tuer cet homme-là.
Quelqu'un s'était trompé, ah oui c'était cela !
Ils s'en apercevraient, reviendraient sur leurs pas !
Mais tous les spectateurs racontaient des histoires
Et ne s'interrompaient que pour servir à boire.
Alors Monsieur Souris n'y tint plus et cria
Mais les gens n'écoutaient rien d'autre que leur voix.
Monsieur Souris pleura des larmes d'amertume
Lorsque les bons bourgeois brossèrent leurs costumes
Pour aller se vanter auprès de leurs amis
D'avoir contribué à tuer l'ennemi
De tout le genre humain qu'il voulait convertir
À ses sottes idées pour mieux le pervertir.
Tout seul Monsieur Souris s'approcha du mourant
Mais il n'en pouvait plus et courait en pleurant
Quand un sursaut d'orgueil fit éclater sa rage
Et libéra enfin son amour de sa cage !
Alors Monsieur Souris vint s'en prendre à la croix
Et de ses pauvres dents voulut ronger son bois.
Il hurla et lutta, combattit et cria
Avec tous les moyens que lui donnait son corps
Tandis que des passants riaient de ses efforts,
Pariant que la croix vaincrait le cancrelat.
Il y fendit ses dents, y blessa ses mâchoires
Mais jamais ne céda devant le désespoir
Jusqu'à ce qu'un soldat eut laissé libre cours
À sa laide pitié, à son atroce amour
Pour tuer l'animal du bout de sa sandale
Mettant le point final à l'étrange scandale.
Et ainsi, mes amis, dans ce complet mépris,
S'acheva le destin de la pauvre souris.
Quand je dis « s'acheva », il ne faut pas me croire
Car ce n'est pas ainsi que s'achève l'histoire.
Notre héros-souris a retrouvé ses dents
et s'en sert pour manger les plus doux aliments.
Il vit en compagnie de sa tendre moitié
Qui pour l'éternité partage sa fierté
D'avoir, tout aussi seul que l'était le Sauveur,
Lutté contre le mal en combattant la peur.
En commémoration de son étrange exploit
Et de sa bonne action, la souris vient parfois
Pour aider un enfant qui s'est trouvé blessé
Mais a su être grand devant l'adversité.
Aux petits courageux qui perdent une dent
En rongeant vaillamment le fil de l'existence
Et savent rester preux, elle offre en récompense
Le sceau de l'innocent : un joli sou d'argent.
H.G.
Avril 2023
L'Avenue du Ciel (table des matières)
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