jeudi 12 mars 2020

231 (bis, ter)


231, Avenue du Ciel

De l'aube de l'Eden jusqu'à son crépuscule
S'étire une autoroute où tous les véhicules
Klaxonnant de concert s'en vont jusqu'au péage
Pour y payer le droit d'achever leur voyage.

De l'aube de l'Eden jusqu'à son crépuscule
Serpente une rivière envahie de touristes ;
Quittant leurs vêtements, ils fuient la canicule
Et descendent les flots, mués en kayakistes.

De l'aube de l'Eden jusqu'à son crépuscule
On a tendu un fil au dessus de l'abîme ;
Des touristes joyeux y jouent au funambule
Et tombent en riant, roulant de cime en cime.

De l'aube de l'Eden jusqu'à son crépuscule
Va un petit chemin où les joggers s'élancent,
Courant après leur vie entre les hiérodules
Qui pour les saluer sanglotent en silence.

Parfois quelqu'un s'arrête et les anges frémissent :
Ils scrutent les passants, recherchent les prémices
D'un début de question en ceux qui déambulent
De l'aube de l'Eden jusqu'à son crépuscule.

Le touriste à l'arrêt, par peur du ridicule,
S'en va dans un sursaut ; tandis qu'il accélère
Les hiérodules las repartent vers leur aire
Dans l'aube de l'Eden et dans son crépuscule.



231 bis, Avenue du Ciel

Tel un prince endormi menacé d'une fronde,
Un touriste parfois quitte son hébétude
Et secoue sa torpeur pour tenter d'en sortir.

Tout son être avili par la lèpre du monde
Se tord pour échapper à la douce quiétude
Du songe merveilleux qui vient pour l'engloutir.

Il palpe sa personne et gémit dans la nuit
Quand son corps couturé de mille cicatrices
En quête de plaisir rencontre la douleur.

Les loisirs inventés pour tromper son ennui,
Les appétits sans frein qui faisaient ses délices,
Sans le fouet du désir ont la saveur des pleurs.

Rongé par la santé, tout son monde bascule :
La maladie perdue a enfin dénudé
La souffrance cachée sous un cuir de goret.

De l'aube de l'Eden jusqu'à son crépuscule,
Il cherche le chemin qu'il avait éludé ;
Tournant le dos au monde, il va vers la forêt.



231 ter, Avenue du Ciel

Les touristes pressés parcourent tous les lieux ;
Ils roulent en vélo, rollers ou trottinette,
Ne s'arrêtant jamais que pour quelque bluette
Bien vite interrompue par un temps trop précieux.

De ce qui n'est pas eux, ils se font oublieux,
Jouant à la marchande ou bien à la dînette,
Ou bien se chamaillant pour plumer l'alouette ;
Quand tout est consommé, ils vont sous d'autres cieux.

Tu vas sur tes deux pieds, la crécelle à la main,
Soigneusement gardé de tout ce qui te blesse,
Attentif à tes pas parmi les somnambules.

Tu apprends à marcher en allant ton chemin,
Les yeux sur le sentier, déclinant les promesses
A l'aube de l'Eden comme à son crépuscule.



Note : Les textes n'ont subi aucune modification profonde : ils sont seulement présentés dans l'ordre et d'une façon qui permet de les lire plus facilement.

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