Cher ami,
Tout d’abord, une bonne nouvelle : j’ai revu le cerf dans la vraie vie. Il était loin mais je sais que c’était lui. Je continue à me demander si c’est bien cet être que les conteurs nommaient jadis le cerf blanc car à mes yeux, il n’est pas blanc mais tire franchement sur le gris. Aurait-il pris de l’âge en mille et quelques années ? De plus, je n’ai vu nulle croix entre ses bois, même lorsqu’il s’est aventuré tout près de moi. Toutefois, il laisse en moi une impression de pureté et une joie que je n’ai jamais ressenties qu’au contact du sacré, un bonheur d’enfant qui voit ses parents après une longue séparation. C’est d’ailleurs comme ça que je l’ai reconnu malgré la distance.
On dirait que le traitement que je me suis prescrit porte quelques fruits. Je reste sur le perron de la cathédrale et ne la perçois guère mais je reprends peu à peu pied. Au cas où tu te poserais la question, il semblerait que le point central ne soit pas la prière mais le silence dénué d’attente. Parler à Dieu et l’aimer sont certes deux grandes sources de vie intérieure mais se concentrer pour ralentir le flot qui nous constitue est tout à fait indispensable, pour moi du moins. Je compare volontiers la conscience à un bouchon et l’esprit à une rivière : tant que tu es promené au hasard des flots, les aléas du voyage t’empêchent de même savoir où tu es.
Quant à la nature du cerf, les paris restent ouverts. Je ne vois guère de lien entre lui et un quelconque roi sacré. Tout ce que j’en sais, à vrai dire, est qu’il me remplit de joie. Je n’ai pas la moindre idée du pourquoi. Il doit bien y avoir une explication quelque part en moi mais je n’y ai jamais eu accès.
Je reprends cette lettre au petit matin avec Dieu et la joie au cœur. Je n’ai pas la moindre idée de ce dont j’ai rêvé cette nuit mais ça a dû être bien parce que je me suis considérablement allégé. En émergeant du sommeil, mon esprit chantonnait : « Le ciel et la terre sont emplis de ta gloire, hosanna au plus haut des cieux... » à l’infini. Répété en boucle, cela peut paraître un peu lassant, sans doute, mais le cœur chante de joie : c’est sa façon de faire. Si tu ne connais pas l’air, j’imagine que tu peux le trouver facilement sur la toile car je crois que, pour une fois, mon esprit n’a pas joué avec les mots. Il n’est pas vraiment remarquable mais il remplit bien son office, ce qui reste la plus grande vertu d’un chant d’église.
Au fait, j’ai écouté hier ce chant pour la Theotokos que tu m’as recommandé, et c’est une merveille.
Est-ce l’idée qu’un groupe de chercheurs acharnés travaille à la fin des temps qui met mon cœur en joie ? Et bien, peut-être. Le brouhaha médiatique (et par médiatique, j’entends aussi tous les utilisateurs de réseaux sociaux qui ne sont plus des êtres mais des caisses de résonance du monde) est comme une énorme chape de plomb qui s’est abattue sur nous pour isoler l’être humain de la vie. L’idée que tous ces débiles pourraient enfin se taire a quelque chose de trop sublime pour être crue. En plus, imagine un peu qui Dieu a à sa disposition pour composer la B.O. de l’évènement ! Et qui pour la chanter ! Et qui pour la jouer ! Oh la la, mon ami, j’ai hâte d’entendre cela ! J’imagine qu’il doit aussi y avoir des vivants qui travaillent à son prélude, mais comment les trouver au milieu de la nuée de stars qui a envahi la terre comme une nuée de mouches constelle une charogne ? J’ai hâte de voir cela même si j’ai peur du Jugement Dernier, comme toute personne dans son bon sens.
Je reprends cette lettre un nouveau petit matin avec un rêve à raconter. Rien de bien folichon mais tu m’as dit de les surveiller, alors voilà. C’est le rêve urbain de quelqu’un d’autre. Je suis dans une ville au plan complexe où le rêveur se déplace avec facilité : il sait toujours où tourner, ne regarde pas particulièrement les choses intéressantes, n’est surpris par rien. Bref, il est chez lui. Dans cette ville, il y a des escaliers entre certaines rues mais il sont aussi modernes que les bâtiments. Le rêveur est pressé pour une raison qui m’échappe. Après avoir descendu un escalier plutôt vite, je parcours une rue en sortant un smartphone d’une grande poche (moi avec un smartphone!) juste sous un réverbère. Ai-je dit que c’était la nuit? La coque de l’engin est rouge. Même dans ces conditions, elle est vraiment très rouge. Je n’ai jamais vu qui que ce soit avec un téléphone de cette couleur, sauf dans les navets sur la guerre froide. Je regarde l’écran en pestant parce qu’il est fendu et que l’engin ne fonctionne plus, ce qui fait que je ne peux pas joindre une certaine Anne. J’accélère ma marche en rangeant l’appareil.
Petits ajouts : le rêveur savait que l’appareil était cassé mais voulait pester ; je n’ai pas la moindre idée de la langue qu’il parle : je la comprends comme ma langue natale mais ce n’est pas du Français et elle s’évanouit au réveil.
Sinon, j’ai réfléchi à ton problème avec les noms des démons. J’aime bien ta remarque, lorsque tu dis qu’en fait, ce sont des sortes de numéros de téléphone et que le destinataire peut choisir de ne pas décrocher ou de raccrocher et je crois qu’il y a de ça. En plus, les différences entre les auteurs mettent là-dedans un bordel incroyable. Si deux d’entre eux ont la même hiérarchie infernale, c’est que l’un a copié sur l’autre. Le plus incroyable, en fait, c’est que vous ayez obtenu des résultats.
L’astrologie, je n’y crois pas trop. Ils sont antérieurs aux astres et, de notre point de vue, ils ne sont nés nulle part. Si vous connaissez des gens sérieux, ce qui n’est plus mon cas depuis que mon voisin radiesthésiste et tireur de cartes à ses heures a rejoint un monde meilleur, essayez de consulter des voyants et autres devins. Je ne sais pas trop pour les autres mais Simon, mon voisin (t’en souviens-tu?) avait accès à de sacrées sources d’informations. Moi, je le consultais surtout à propos du passé de certains lieux et j’ai pu recouper pas mal des renseignements qu’il me donnait. Tu serais étonné du nombre de fois où il m’a dit des choses qui n’apparaissaient presque nulle part ailleurs – le mot important ici étant « presque ». Si le sujet t’intéresse, je peux t’envoyer une copie de mes notes de travail.
Enfin, je continue à réfléchir à la dernière partie de ta lettre mais décidément, je ne me vois pas en prophète : je n’ai rien à dire au monde et, de toute façon, il m’a bien signifié qu’il n’avait nulle envie de m’entendre.
Je te laisse sur ces mots en te souhaitant une bonne journée.
Bien à toi.
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