Mon cher ami,
Voilà qui clarifie bien des choses et m’explique enfin certaines parties obscures de tes lettres. Il faudra que tu me racontes tout cela, à l’occasion, du moins le peu que tu auras le droit de me dire. J’ai moi-même, à certaines périodes de ma vie, caressé l’idée de suivre le genre de voie où tu te trouves à présent mais le sort en a voulu autrement : l’occasion ne s’est jamais présentée et les praticiens d’arts occultes que j’ai rencontrés ne m’ont guère impressionné. Comme ils travaillaient seuls - ou, du moins, je le crois -, je n’en ferais pas une règle, mais il manquait à leur approche une assise structurée. Ils prenaient un peu de ci, un peu de ça et faisaient leur tambouille. Ils étaient très modernes, en fait.
Quand je dis qu’ils travaillaient seuls, je veux dire qu’ils étaient seuls en groupe. Pardon pour la formulation un peu étrange, mais leurs bidules n’étaient pas des structures avec des buts clairement définis mais bien plutôt des associations de particuliers partageant les mêmes marottes qui, de temps à autre, se réunissaient pour célébrer quelque chose. Pour agir de concert, il faut avoir un objet qui dépasse la somme des participants et ce n’était pas leur cas.
Bien sûr, je ne veux pas insinuer que tel est aussi le tien. Tes propos restent un peu obscurs mais tu ne parais ni être fasciné par l’en-bas, ni adhérer à un patchwork de croyances inconciliables, ni vouloir réinventer des cultes morts, alors je me dis que tu es sans doute avec des gens sérieux.
C’est, je crois, tout ce que j’ai à en dire, du moins avec le peu de détails dont je dispose. Peut-être en saurai-je plus à l’occasion si, comme tu le dis, les circonstances s’y prêtent.
Pour ce qui est de moi, je suis un peu ton genre de voie, mais à l’envers. Tu apprends de nouvelles choses alors que je désapprends des choses que je croyais sûres. Vois-tu, je prends très au sérieux ce que le Christ a dit de Dieu et des choses qu’Il révèle aux simples, du moins tant que tu nommes simple quelqu’un qui croit en ce qu’il voit plutôt qu’en ce qu’il pense. Je laisse donc aller peu à peu ce que je considérais comme vrai pour accepter ce qui arrive. Je le dis mal, mais peut-être verras-tu l’esprit de la chose à travers les brumes de mon discours.
Tout le problème de cette méthode est que, lorsque tu t’y prends ainsi, il finit par arriver des choses vraiment bizarres et que tu es bien obligé de l’admettre. Le hasard et la destinée sont deux refuges qui protègent de la réalité, qui permettent de ne pas la regarder. Ce sont deux systèmes de croyances qui expliquent tout rapidement et font l’économie tant du réel que de bien des questions car ils expliquent tout de manière très raccourcie.
Mais encore une fois, je m’égare. Philosopher n’est pas mon propos et je laisse volontiers les joies de cette discipline aux diplômés payés pour ça. Comme l’a dit un grand homme à son savetier, je n’ai pas à regarder au dessus de la chaussure.
Ne m’en veux pas, surtout. Je suis parfois gagné par l’amertume de ceux que personne n’accepte d’entendre.
Mais, puisque j’ai évoqué le sujet, il se trouve justement que des choses étranges se sont passées autour de moi, et cela encore récemment. Je range ces phénomènes en deux catégories : ceux que personne d’autre ne semble voir, ce qui fait peut-être de moi un fou victime d’hallucinations, et ceux que tout le monde voit sans s’en étonner, ce qui fait peut-être de moi un crétin qui ne comprend rien à rien. Je n’y crois guère dans les deux cas mais l’honnêteté me pousse à évoquer ces possibilités.
Je m’aperçois que j’ai beaucoup bavardé et me dis que tu as sans doute mieux à faire que de lire ma prose alors je vais faire court, quitte à renvoyer certaines explications à d’autres courriers. Donnons-donc un exemple des deux cas :
- Te souviens-tu de l’histoire de ce type que j’ai racontée il y a deux ans, l’homme qui avait vu une rue se changer en une cathédrale de lumière et certains passants en des êtres merveilleux alors que personne d’autre ne remarquait rien ? Ce type, c’était moi, et tout était vrai, mais transformé pour que l’on ne me regarde pas comme un hurluberlu.
- Il y a un homme qui vient à la messe et qui s’en va toujours au moment de la communion. Peu importent ses raisons : les énoncer n’apporterait rien à mon propos, d’autant que si je crois en comprendre une partie, le reste n’est que conjectures. En fait, le problème est ailleurs : parfois, il n’est pas seul. Deux hommes bien plus jeunes arrivent un peu en retard, comme lui, s’assoient sur le même banc que lui sans sembler le connaître et partent en même temps que lui. Personne ne les regarde parce que leur apparence est tout à fait anodine et pourtant, si les paroissiens les observaient d’un peu plus près, ils seraient bien surpris de voir de leurs propres yeux des manifestations de certaines de leurs croyances. Sont-ils d’en-haut ou d’en-bas ? J’avoue l’ignorer car tous sont des êtres célestes, d’exquises créations de Dieu. Ne crois pas l’imagerie, tant savante que populaire. Dans le divin comme dans le démoniaque, les anges paraissent purs et splendides pour les pauvres mortels. De plus, l’idée qu’un démon doive fuir la messe est une ânerie : songe que le diable lui-même paraît devant Dieu et Lui parle.
Je crois que tu dois à présent en avoir assez de consulter ta montre en te demandant si ce sera encore long et je m’interromps donc. Si tu te demandes pourquoi je ne t’avais rien dit auparavant, demande-toi aussi comment tu t’y prendrais pour parler de telles choses et tu comprendras ma position. Si tu penses que je suis fou, sois bienveillant envers moi et dis-toi que j’ai besoin d’aide. Si, au contraire, mes propos continuent à t’intéresser, sache que je compte bien les continuer lorsque l’occasion se présentera.
Dans tous les cas, je reste ton ami.
Bien à toi.
Contes (table des matières)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire