jeudi 6 février 2025

Le quatrième courrier

 

Ta question tombe au moment idéal, cher ami. Ce matin, dans les brumes du réveil qui précèdent le lever, celles où précisément tu te remémores tes rêves en accéléré afin de les graver dans un cerveau qui ne les a pas vécus, ou plutôt de les y déposer en une fine couche de neige qui s’évaporera au soleil de la conscience, du moins pour les rêves étranges, dans ces brumes, donc, ou plutôt à leur sortie, j’ai songé à toi en me disant : « En voici un que je ne lui raconterai pas... ». Ta question me fait mentir, mais qu’importe ? Je t’ai bien dit que je n’étais pas devin. Voici donc la chose :

Je marche la nuit entre des immeubles très semblables à ceux de la cité de mon enfance, ces grosses choses en béton que seuls les goûts dévoyés de riches bourgeois pouvaient juger belles avant qu’ils n’aillent se calfeutrer dans des hôtels particuliers datant d’un ou deux siècles.

L’éclairage aussi vient de mon enfance. Il est assez rare et tire sur le jaune-aube glorieuse dans la cité pourrie. Ce jaune découpe la nuit en halos plutôt que de l’éclairer, préserve des zones de mi-chien mi-loup où ce sont pourtant les félins qui règnent en maîtres, mais il guide cependant l’habitant aviné jusqu’au havre de guerre qu’il nomme sa maison.

Je vais vite et jouis d’une agilité surnaturelle, comme bien souvent dans mes rêves. Je n’y suis pas un super-héros, non, mais mes déplacements ont quelque chose d’incorporel.

Je ne rencontre personne. Ce doit être un soir de semaine. Parents et enfants sont au lit, et malheur à qui les réveillerait ! À cette époque qui laisse en moi quelques regrets, les habitants normaux n’appellent guère la police. Ils ont des poings et, au besoin, il traîne toujours un manche de pioche quelque part, voire quelques souvenirs d’Indochine ou d’Algérie.

Tout le charme de ce rêve repose sur son ambiance. Le vert de l’herbe entre les immeubles (car il y en avait, et il y en a toujours, même si la cité a bien changé) y est d’une profondeur, d’une puissance qui me laissent encore rêveur au réveil. Il n’est pas surnaturel. Un très bon peintre pourrait suggérer sa texture, sa qualité, voire son énergie rentrée.

Comment peut-on distinguer une telle couleur dans une nuit profonde éclairée par quelques réverbères ? Disons que telle est la magie des rêves, n’est-ce pas ?

Un peu désœuvré, je pousse la porte d’une cave entrebâillée, ou plutôt la porte d’entrée de caves communes, puis une autre porte intérieure qui doit donner sur une entrée. Je joue avec elle car elle grince et une voix perce alors la nuit :

« Tu vas t’calmer, l’greffier ? »

Cette voix à moitié endormie, à moitié réveillée, à moitié énervée, à moitié amusée et qui appartient sans doute à un ouvrier qui partira prendre le « dur » bien avant l’aube, cette voix donc me fait m’envoler vers la nuit de toute la vitesse de mes jambes avec l’agilité nonchalante du vent. Je tiens à préciser que je ne suis pas un chat dans ce rêve : je vois depuis la hauteur d’un homme et j’ai des mains que j’aperçois parfois, comme lorsque j’ouvre une porte.


Le rêve prophétique est plus complexe dans sa structure, surtout symbolique, mais plus simple à raconter. En voici un qui date de bien longtemps et dont les conséquence m’ont marqué durablement :

Je cours dans une rue pavée bordée de bâtiments médiévaux, poursuivi par une foule en colère. Soudain, je passe près d’un chariot débâché où se trouvent des armes, sans doute destinées à la soldatesque locale. Je me saisis d’une épée puis me retourne vers la foule en me préparant au combat et en me disant : « Après tout, je suis un être humain. »

Je tiens à préciser que ce rêve présentait ma situation et indiquait sa solution ; j’imagine que bien des gens pourraient recevoir le même conseil avec fruit. Je sais que ma manière de considérer ces choses n’est pas canonique mais, pour ma part, je nomme « divination » la prévision d’un évènement inexorable, ce qui m’arrive de temps à autre, et « prophétie » un chemin pour sortir d’une situation inextricable. La véritable prophétie m’est presque totalement inconnue et je préfère éviter le sujet qui reste douloureux.

Quant aux divinations, le peu que je reçois n’effleure plus jamais mes lèvres. C’est vraiment un poids trop lourd à porter car hélas, les gens te croient. Quelque chose en nous est fasciné par l’inéluctabilité du destin.


Voilà. Je crois avoir répondu à tes questions même si j’avoue ne pas bien comprendre les allusions cryptiques que tu fais à l’initiation et à la destinée. Pourrais-tu me les expliquer plus clairement ?

Bien à toi.


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