dimanche 2 février 2025

Le troisième courrier

 

Cher ami,

Crois bien que si j’avais su que de telles choses t’intéressaient à ce point- là, je t’en aurais parlé dès le matin du rêve. Pourquoi celui-ci ? J’aimerais bien que tu me le dises, à l’occasion. Mais laissons là ce préambule car il ne mène qu’à un développement vide, je le crains. Le rêve, pour étrange qu’il ait été, n’était rien de ce que tu sembles croire.

Si je reprends mes notes, je vois qu’il s’est produit le 29 août et que je l’ai retranscrit à 2 heures 28 du matin. Il concerne l’agneau mais aussi la chevrette que je nomme l’âme des forêts. Cette dernière a le rôle que tu connais et qui t’amuse tant mais elle m’est d’un grand réconfort car l’agneau, vois-tu, n’est pas ce que tu crois, ou plutôt ce que j’imagine que tu crois. Moi aussi, j’ai voulu penser pendant un temps qu’il était l’Agneau mais, malgré l’enflure subséquente de mon ego, j’ai dû déchanter devant les faits.

Comme je te l’ai dit, il avait trois têtes, six yeux et aucune couronne. Ses trois têtes n’en formaient qu’une, étrangement articulée et, avec un brin d’irrévérence, je dirais qu’elles étaient empilées. Je ne peux pas vraiment décrire l’atmosphère de bizarrerie qui enveloppait le tout, mais sache que rien ne manquait pour rendre l’instant sacré. Si mes souvenirs sont bons, j’ai eu droit à la lumière céleste étiquetée « lumière céleste », au chœur angélique qui chantait « nous sommes le chœur angélique », aux sages vieillards emplis d’une sainteté garantie sainte par les autorités adéquates, et j’en passe…

Bref, rien ne manquait à ma vision sinon, comment dire ? Sinon la présence, je crois. Dès mon réveil, la déception pointait sous l’émerveillement dû à l’abondance de preuves. Tous les signes d’une visite sacrée étaient bien là mais la présence était absente. C’est un peu comme ces films dont les images t’emportent sur le coup mais ne laissent nulle trace en toi.

Voilà. C’était un beau spectacle, mais rien qu’un spectacle. Ne va pas pour autant prendre ma description au premier degré. En fait, le rêve était vraiment merveilleux. Comme je l’ai dit, tout y était, il ne manquait vraiment rien pour que je me prenne pour un prophète, un élu ou que sais-je. Seulement, Lui n’était pas là et mon âme le savait. Tout ce truc était un peu comme l’argent du diable dans les histoires médiévales : au réveil, le bel or est devenu une poignée de feuilles mortes.

Tu me questionnes à propos de l’agneau mais je ne peux pas dire que je m’en souvienne vraiment. Les têtes semblaient sortir l’une de l’autre comme des poupées russes, seulement on n’avait pas à ouvrir l’une pour libérer l’autre. Elle venait toute seule, sans orifice ni dispositif apparent, un peu comme s’il y avait eu un hologramme dans l’hologramme. Pourtant, tout semblait matériel, mais pas comme l’aspect profondément charnel d’un véritable agneau. Pour poursuivre dans l’irrévérence, le tout paraissait être en plastoque, si tu vois ce que je veux dire.

Enfin, il y a le fait que le rêve n’était pas à moi, pour moi. Il n’avait aucun rapport avec mes préoccupations du moment que tu connais (si, si, relis la date), ni avec ce que j’avais fait senti ou pensé durant une journée totalement liée à la vie dans sa version la plus crue. Ce rêve d’un autre ne me concernait en rien, même s’il a constitué plus tard une réponse à un questionnement intérieur. Si, dans un premier temps, celui de l’émerveillement, j’ai souhaité le contraire, je me suis vite réjoui par la suite que la pleine puissance du spectacle n’ait pas été braquée sur moi.

Parce que vois-tu, cher ami, je ne suis qu’un homme, et je n’ai pas la force d’âme de Job. Si le grand menteur veut ma peau, je crains d’être une proie facile.

Toutefois, je m’égare car l’œuvre n’était pas signée. Il y a juste que quand quelque chose paraît saint à ce point là, il engendre en moi une sensation de malaise. Selon mon expérience, le sacré est très simple dans son action, direct dans ses méthodes et ne s’enveloppe de nul mystère ni symbole, même pas des signes de la sainteté, à vrai dire. Il faut se souvenir que le miracle est naturel pour Celui qui en est à l’origine.

Voilà, cher ami, je crois que c’est tout. Si tu as d’autres questions, n’hésite pas à les poser. Sinon, comme tu me le demandes, je te tiendrai au courant de la suite des évènements.

Porte-toi bien.


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