Cher ami,
Je te reconnais bien là ! Moi qui me demandais si ton intérêt pour les arts magiques t’avait profondément changé, je tiens ma réponse. Et, de manière curieuse, ton goût marqué pour les appâts féminins te guide toujours vers l’essentiel ! Voilà qui laisserait perplexes bien des moralistes.
Oui, la cathédrale de lumière était bien « le truc avec cette fille qui, de mignonne, devenait super-canon. » Ta mémoire ô combien sélective a fait l’économie de beaucoup de détails mais, même pour moi, cet épisode a marqué une étape importante. Tu sembles aussi te souvenir de mon état nerveux pitoyable à cette époque, aussi ne vais-je pas insister sur ce point sinon pour dire que c’était pour cette raison que je ne me croyais pas. Étant données les épreuves que je venais de traverser, je me cachais derrière la science et le bon sens pour nier le témoignage d’une réalité qui avait bien des choses à me dire.
Ce jour-là, j’arpentais d’assez jolies rues situées non loin de chez moi sous un prétexte ou sous un autre, mais en tout cas surtout pour tenter de me rétablir un peu. Pour autant que je m’en souvienne, le temps était mi-figue, mi-raisin, sans averses mais avec quelques éclaircies, de celles où le soleil, sans vraiment paraître, parvient pourtant à te faire savoir qu’il est là.
Dans une rue où je vais assez peu car elle ne contient aucun commerce, je m’aperçus que tout était en train de changer. Comment dire cela ? Le sol était moins dur sous mes pieds et même la tristesse du macadam parvenait à gagner quelques couleurs. Non, pas vraiment des couleurs, mais un peu comme le souvenir de la beauté des vieilles gens, si tu vois ce que je veux dire. Dans les bacs et les jardins, les fleurs palpitaient de vie et même l’air avait un goût d’énergie, un parfum d’espérance en quelque chose que je ne saurais pas définir. Ne t’y trompe surtout pas ! Les signes étaient encore faibles, à l’époque, et nous sommes bien loin des révélations de la Pâques de l’année suivante (ce qui me fait d’ailleurs penser que c’était il y a quatre ans, et non deux. Comme le temps passe !).
Seuls les passants ne changeaient pas. Je n’ai pas besoin de te décrire un citadin marchant dans une rue, n’est-ce pas ? Nous ne sommes certes pas dans une grande métropole mais les carapaces des gens sont déjà bien épaisses. Bien qu’assez peu nombreux, ils dépensent beaucoup d’énergie à se protéger de la vie.
Pourtant, quand je vis, à une trentaine de pas de moi, un jeune homme fermer la portière de sa voiture pour se diriger vers une maison, je sus tout de suite qu’il y avait quelque chose en lui de différent. La main de son Créateur était sur lui, révélant les détails de son œuvre, et ces détails étaient époustouflants de beauté et de grandeur. Ce fut à ce moment-là que je vis que quelque chose en l’être humain dépassait de très loin l’être humain. Ce jeune homme avait le port et l’aspect martial d’un aigle et la joie d’être à jamais libre illuminait ses yeux.
Je le dis mal, et je ne sais pas comment faire mieux. Pardon pour cela. Comme il était apparemment à la fois vif et en pleine forme, le changement qui s’était produit en lui – si du moins une telle chose était vraiment arrivée – ne fut pas aussi accentué que pour la jeune femme, mais il ne manqua pourtant pas de m’étonner.
Une chose encore : quand il me regarda, ses yeux me dirent qu’il savait que je venais de voir en lui… l’indicible. Rien de faux ni de souillé ne transparut, juste un bonheur indéfinissable d’avoir été reconnu, mais pas comme une vedette à l’ego gonflé d’orgueil, oh ça non ! Bien plutôt cette joie d’exister vraiment pour l’autre.
En poursuivant ma route, je faillis me signer. Je le fais à présent souvent pour rendre grâce à Dieu lorsqu’Il me montre la grandeur de son œuvre. Ne vois pas là une fantaisie d’artiste : je suis convaincu qu’Il le fait parce qu’Il a pitié de moi. Lui sait que seuls l’amour et l’émerveillement peuvent panser nos plaies béantes d’où la vie s’écoule à gros bouillons pour se perdre dans un sol desséché.
Bailles-tu d’ennui devant ma prose ? Rassure-toi, nous en venons à présent à la jeune femme – enfin, quand je dis jeune, je parle d’un trentaine d’années, je crois.
Elle, je l’ai croisée dans une rue beaucoup plus passante, près d’un bureau de tabac où j’allais assez souvent. Elle faisait partie d’un flot de voyageurs qui descendaient d’un bus et, quand je la vis, elle marchait toute recroquevillée en elle-même, visiblement épuisée. Je sais que la formulation est étrange mais c’est la seule qui me soit venue à l’esprit pour évoquer ce que j’ai vu.
C’était une femme tout à fait normale, en vêtements de ville du type pratique. Son travail ne devait pas réclamer une mise particulière, j’imagine. Pourtant, quelque chose attira mon attention et je m’arrêtais de marcher, je crois. En tout cas, quelque chose dans mon attitude dut se modifier. Elle était splendide, habitée d’une force et d’une dignité que je n’ai jamais revues chez qui que ce soit d’autre. En la voyant, je compris mieux pourquoi la tâche d’écraser la tête du serpent était dévolue aux femmes.
Tout cela dut se voir car, lorsque la scène redevint normale, j’avais devant moi une jeune femme alerte et souriante au dos droit, comme si un énorme fardeau venait de quitter ses épaules. Parfois, je me plais à croire que Dieu m’a permis de voir ces êtres afin qu’eux-mêmes me voient les voir.
En me relisant, je m’aperçois que je n’ai pas vraiment réussi à retranscrire la magie de ces instants et que je n’ai rien dit de la cathédrale de lumière, celle où je vais à présent à chaque fois que notre Créateur me le permet et que ma folie ne m’en chasse pas.
Ce sera sans doute pour une autre fois.
Bien à toi.
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