Cher ami,
Oui, tu as raison, et je te présente mes excuses pour tous mes atermoiements. C’est que, vois-tu, le sujet est crucial à mes yeux. En relisant tes lettres puis les brouillons de mes courriers, j’ai vu toutes les stratégies d’évitement que j’y avais employées (saut du coq à l’âne, dilution, bavardage, etc.) et je n’en suis pas très fier. Merci, donc, de me ramener à l’essentiel.
À vrai dire, il est même possible que mon long silence soit dû non au travail, comme je l’ai affirmé dans mes messages, mais à la simple crainte d’aborder vraiment le sujet.
La cathédrale de lumière, donc. Pour faire court, c’est l’endroit où je rencontre Dieu. Je m’étonne encore de ton affirmation selon laquelle mes conversations avec Lui sont des monologues puisqu’Il ne répond jamais. D’où tiens-tu une idée aussi bizarre ? Bien sûr, qu’Il répond ! Es-tu sûr de vraiment écouter après Lui avoir parlé ? Et quand je dis écouter, je parle de le faire avec tes oreilles mais aussi tes yeux, tes narines, ta langue, ton corps et jusqu’à ton esprit. Certes, Il n’est pas bavard et se sert rarement de mots, mais tout de même, comme tu y vas !
Non, cette fois, je crois que c’est moi qui vais trop loin. Il n’y a pas si longtemps, je partageais ta croyance en le silence de mon Seigneur et ami. Pardonne-moi pour cela, donc, et poursuivons.
La cathédrale de lumière n’est pas une métaphore mais un lieu… Disons qu’il est omniprésent. Moi, en tout cas, je m’y suis trouvé en bien des endroits mais, comme je ne suis pas allé partout, il se pourrait que le préfixe « omni » soit de trop, même si je n’y crois guère.
Ne vas surtout pas croire que je veux dire qu’elle est partout ou nulle part : elle est là où est Dieu, je crois. Si j’ai raison, il est bien possible qu’elle soit le seul lieu dans l’univers à être quelque part.
Qu’elle soit faite de jour ou de nuit, de son ou d’odeur, elle est et reste la cathédrale de lumière, le lieu où tout est en vérité.
Je me perds dans mes mots.
Reprenons. De manière plus posée, cette fois.
Je l’ai vue pour la première fois dans une forêt, une veille de Pâques. Ses tours allaient du ciel à la terre, et tout en haut, tout là-haut, sa cime trônait, belle à en mourir. Mais, au lieu de mourir, je vivais pour la première fois. Tout était si pur…
Je me perds à nouveau dans les mots.
Reprenons.
Elle commence par un souffle. Juste un souffle. Comme la bouffée d’air que prend un chanteur juste avant de commencer. Et là, tu attends les vibrations, tu attends la note mais le souffle n’en finit pas et tu sens que tu es le chant, que la première note de ce chant-là, c’est toi, et sans doute la dernière, aussi, mais le souffle n’en finit pas et tu restes là, suspendu comme un air inexprimé. Et là, autour de toi, tu sens monter ce chant que tu es et tu sais que le Créateur te crée, toi. Et tu exultes, mon ami, tu exultes devant tant de beauté, et tu pleures d’être si beau parce que, pour la première fois de ta vie, tu te vois à travers le chant de Dieu qui t’aime.
Ce n’est pas tout à fait cela, mais je ne pense pas pouvoir faire mieux.
Reprenons.
Non. Avant de reprendre, je veux préciser une chose. Si la cathédrale n’est pas une métaphore, tous les moyens par lesquels j’essaie de la dire en sont. Elle est sans doute un peu de tout cela mais aucun mot ne peut l’exprimer vraiment.
Je n’avais pas encore saisi cela, la première fois que je l’ai vue. Épris de sa beauté, fasciné par sa grandeur, j’ai cru que le monde venait de changer, de se révéler et, lorsque je croisais des gens, je cherchais sur leur visage des traces de leur émerveillement. Or, tout ce que je voyais, c’était des regards étranges ou perplexes. Personne n’avait l’air de croire que j’étais fou mais tous semblaient désarçonnés par mon exultation. Figure-toi, cher ami, que la première idée qui m’a traversé l’esprit était que tous connaissaient ce lieu – je veux dire, la cathédrale – et que moi seul dans tout l’univers avais ignoré son existence. Il me fallut quelques temps pour me rendre compte que tant les maîtres que les chiens se promenaient en fait dans le monde de l’ombre, dans celui où j’étais moi aussi sans y être tant que je percevais la cathédrale. Oh, Seigneur, que tout était beau, que tous ces passants étaient merveilleux tandis qu’ils étaient enfin vrais !
Et puis, tout doucement, j’ai quitté cet endroit. Il n’a pas disparu, j’en suis sorti. Parce que, cher ami, je suis sûr d’au moins cela : ce n’est pas le monde qui est vrai, c’est la cathédrale. Seulement, notre refus d’y être nous empêche de la voir. Comment ? Pourquoi ? Cela, j’avoue l’ignorer. Il doit y avoir dans le récit du péché originel quelque chose que je ne comprends pas.
Maintenant, pour être complet, il faudrait que je te parle des deux lumières, celle du Christ et celle de Marie – du moins, c’est ainsi que je les nomme – mais je ne pense pas vraiment pouvoir le faire. Je crois que c’est la même lumière mais que Marie la rend supportable pour un simple mortel. Celle du Christ, ô Seigneur, je crois qu’il me faudra attendre d’être mort pour pouvoir endurer sa vérité. Elle n’est pas cruelle, non, mais elle est si vivante, si invraisemblablement vraie ! Elle est ce que nous avons perdu lorsque nous nous sommes prosternés devant le père du mensonge. En tout cas, c’est ce que je pense.
Comme je l’ai déjà dit, tu ne vois pas forcément la cathédrale de lumière. Ce n’est pas que Dieu te la cache, c’est juste que tu ne la vois pas. Ce n’est pas non plus que tu ne puisses pas y entrer sans qu’Il t’y invite, parce que je crois que même Satan en personne y serait le bienvenu. C’est juste que tu passes devant sa porte qui est ouverte et que tu refuses d’entrer. Or, tu ne peux pas t’y forcer parce que tu ne sais pas comment tu refuses. Moi-même qui t’en parle, je ne saurais pas te guider vers elle parce que je ne sais pas comment m’y rendre. Je dirais bien que Dieu a eu pitié de moi et qu’Il m’y a conduit mais je sais à présent qu’Il a toujours pitié de moi et qu’Il m’appelle, de jour comme de nuit, comme Il le fait pour chacun de nous. Peut-être que, ce jour-là, j’étais si seul et malheureux que je L’ai entendu. Je ne sais pas. Il y a quelque chose dans ce que nous nommons la grâce qui dépasse les limites de mon entendement.
Au fait, ne vas surtout pas croire que j’en suis un visiteur coutumier ! Moi aussi, je m’en suis banni. Moi aussi, je ne la trouve pas. Il y a juste que parfois, elle est là.
Bien à toi.
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