samedi 29 mars 2025

Le onzième courrier

 

Cher ami,

Je ne m’en étais pas aperçu sur le coup mais ton observation est très juste. Il faudra que j’y réfléchisse parce qu’enfin, ainsi que tu le dis, il doit bien y avoir une raison à cela.

Pour ce qui est des démons, je crains de ne pouvoir guère t’aider. Certes, j’en ai croisé quelques-uns mais qui sinon Dieu pourrait dire si leur forme était bien la leur ? De plus, je me suis contenté de penser qu’ils étaient des démons car leur comportement me paraissait bien peu angélique mais, encore une fois, qui suis-je pour en juger ? Après tout, un ignorant trouverait monstrueux le chirurgien qui incise la peau d’un patient pour faire mumuse avec ses organes. Le geste du praticien est justifié par tout un ensemble de connaissances dont il dispose et que mon hypothétique témoin n’a pas. De la même façon, j’ai très bien pu méjuger les êtres surnaturels que j’ai vu agir.

Ton histoire de miroir me fait peur, mon ami. J’ai lu là-dessus des choses dans quelques ouvrages consacrés à l’art que tu pratiques à présent – Lesquels ? J’avoue ne pas m’en souvenir. L’apocryphe d’ Agrippa, ou bien Verrier ? – mais je n’ai guère été convaincu. Si tu vois le reflet d’une personne, c’est qu’elle est quelque part dans le même monde que toi, non ? Alors d’où vient cette idée que seule son image est là ? J’aimerais bien que quelqu’un me l’explique. Le mode d’existence de ces être n’a, je crois, rien à voir avec le nôtre et j’ai bien peur que vous ne leur attribuiez des règles que parce qu’elles vous arrangent. Ce n’est pas exactement pour rien que l’on nomme Satan le père du mensonge, et vous ne seriez pas les premières personnes qu’il parvient à tromper, bien loin de là. Je vais tâcher de retrouver le lien de quelques religieux orthodoxes qui parlent des dangers de la prière et tu pourras voir par toi-même que même l’activité la plus sainte peut se voir détournée par les êtres dont nous parlons.

Bref, vos expériences me paraissent dangereuses. Ne va surtout pas croire que je te prends pour un imbécile, ou plutôt si, car en de telles matières, je crois que même le pape peut être un imbécile, tout comme moi et tous les mortels. Si tu veux t’amuser, lis des explications du livre de Job et tu verras à quel point notre raison peut nous égarer. Qu’elle soit un outil puissant pour comprendre les choses, j’en conviens, mais il me semble qu’elle dépend beaucoup de la qualité des renseignements dont dispose celui qui l’utilise. Or, il se trouve que notre royaume n’est pas à nous et que le roi dont nous sommes les sujets n’a rien à gagner à nous voir heureux et libres. Prends quelques instants pour y penser, je t’en prie, et relis les litanies de Satan dues à l’immense plume de Charles Baudelaire.

Sinon, ma rencontre avec Vieille Dame la Mort ne m’a pas laissé de marbre. Comme tu le dis, l’aspect enfantin de l’expérience ne l’affaiblit pas. Dans ce rêve, j’étais bien, ainsi que tu me l’as montré, un gamin face à une adulte : seul, faible, innocent et impuissant. Seulement, j’y étais une grande personne et la vérité est un plat bien amer, parfois.

Et oui, c’est vrai, je me suis révolté contre Dieu. Comment pourrait-il en être autrement ? Le mot « bouddhiste » n’est pas arrivé par hasard sous ma plume et leur constat à propos de la souffrance m’a toujours semblé vrai : tout est souffrance parce que même l’amour que nous nous vouons les uns aux autres est appelé à s’achever dans la douleur de la séparation. C’est la suite qui me rebute : nier le monde par la raison me paraît me paraît… fou. On peut tout prouver à l’aide de raisonnements et on peut se convaincre soi-même avec une facilité qui me déconcerte. Depuis quand est-ce que le fait qu’un chose ne te plaise pas la rend fausse ?

Mais venons-en au point central de ta lettre, cher ami, à ce médicament que tu as caché sous une enveloppe de dureté :

« Et si ta mort était en plastoque, pour reprendre ce terme qui m’a bien fait rire ? Et si, cette fois, c’était toi la cible ? »

En lisant cela, la foudre m’est tombée dessus. J’errais comme une âme en peine, ne sachant plus à quel malsaint me vouer, et j’ai lu ça… Ne serais -tu pas, par le plus grand des hasards, quelque starets caché sous les traits d’un savant fou ? J’ai tellement envie que tu aies raison que je cherche depuis lors à démonter ton raisonnement pour retourner me vautrer dans ma peine et attendre qu’elle se mue en désespoir. Heureusement, rien n’y fait et ta raison reste aussi affûtée que ce katana que tu m’as montré.

Attention ! Je ne dis pas que c’est vrai ! Et cela, principalement parce que j’en meurs d’envie. Toutefois, tu as su, cher ami, donner au bagnard que je suis un outil susceptible de couper ses chaînes. Pour ce qui est de la prison elle-même, nous verrons cela en temps et en heure.

Bien à toi, et avec toute ma reconnaissance.


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