jeudi 16 août 2012

Evolution

Evolution

Les enfants jouaient dans la cour sous l’œil peu attentif de leur maîtresse. De retour d’un stage, elle méditait sur l’évolution des méthodes pédagogiques qu’elle avait connue depuis le début de sa jeune carrière. Ces changements allaient contre tous ses instincts, mettaient à mal tout ce en quoi elle croyait mais n’était-ce pas là, selon le formateur, le sceau d’ « une vérité qui dérange »?
Les ministres le répétaient sans cesse : dans un monde qui change de plus en plus vite, l’école doit savoir se mettre en cause, s’adapter et suivre le mouvement général. Hier, le monde était immobile et l’école figée dans un passéisme névrotique. Aujourd’hui, les révolutions technologiques s’enchaînaient à un rythme démesuré et l’école se devait d’être à la pointe du progrès, car les enfants l’étaient: ils étaient plus mûrs, plus savants et surtout bien plus ouverts au monde qu’elle l’avait été à leur âge.
De même, l’évolution des mœurs, du langage ne pouvaient, ne devaient pas laisser l’école indifférente. C’était pourquoi, entre autres changements, lorsque le petit Jonathan l’avait saluée d’un superbe « Ta mère, j’la nique », elle lui avait gaillardement répondu « Et avec quoi, le vermicelle qui te sert de pine? » Elle avait béni le formateur en entendant s’élever les rires de la classe tandis que le petit garçon rougissait de honte. Elle plaisait aux enfants. Bien sûr, ils ne fournissaient toujours aucun travail, mais ils ne s’ennuyaient plus en cours. N’était-ce pas là l’essence même de la pédagogie? N’était-ce pas le biais par lequel elle allait pouvoir leur transmettre les valeurs essentielles de la société dans laquelle ils allaient devoir s’insérer? bref, une culture vraie, vivante, et non une quelconque relique desséchée issue d’un passé mort et enterré? Comme elle avait été bête, et comme le formateur avait vu juste! Elle aurait voulu danser de joie, tant elle était heureuse.
Sans qu‘elle s’en fût rendue compte, un groupe s’était formé autour d’elle et Jonathan la regardait d’un air malicieux. La maîtresse entendit la voix de Joséphine qui murmurait au jeune garçon:
« T’es même pas cap! »
Enfin, le moment tant promis et espéré était arrivé! Les enfants la mêlaient à leurs jeux, l‘acceptaient parmi eux, et sa mission pédagogique débutait. Elle inspira lentement, rameuta en hâte toutes les précieuses connaissances accumulées durant le stage et se jeta à l’eau:
« - Maîtresse!
- Oui, Jonathan.
-Crachmoid’su et Crachmoid’sa sont dans un bateau. Crachmoid’sa tombe à l’eau. Qu’est-ce qui reste? »

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