Evolution
Les
enfants jouaient dans la cour sous l’œil peu attentif de leur
maîtresse. De retour d’un stage, elle méditait sur l’évolution
des méthodes pédagogiques qu’elle avait connue depuis le début
de sa jeune carrière. Ces changements allaient contre tous ses
instincts, mettaient à mal tout ce en quoi elle croyait mais
n’était-ce pas là, selon le formateur, le sceau d’ « une
vérité qui dérange »?
Les
ministres le répétaient sans cesse : dans un monde qui change de
plus en plus vite, l’école doit savoir se mettre en cause,
s’adapter et suivre le mouvement général. Hier, le monde était
immobile et l’école figée dans un passéisme névrotique.
Aujourd’hui, les révolutions technologiques s’enchaînaient à
un rythme démesuré et l’école se devait d’être à la pointe
du progrès, car les enfants l’étaient: ils étaient plus mûrs,
plus savants et surtout bien plus ouverts au monde qu’elle l’avait
été à leur âge.
De
même, l’évolution des mœurs, du langage ne pouvaient, ne
devaient pas laisser l’école indifférente. C’était pourquoi,
entre autres changements, lorsque le petit Jonathan l’avait saluée
d’un superbe « Ta mère, j’la nique », elle lui avait
gaillardement répondu « Et avec quoi, le vermicelle qui te
sert de pine? » Elle avait béni le formateur en entendant
s’élever les rires de la classe tandis que le petit garçon
rougissait de honte. Elle plaisait aux enfants. Bien sûr, ils ne
fournissaient toujours aucun travail, mais ils ne s’ennuyaient plus
en cours. N’était-ce pas là l’essence même de la pédagogie?
N’était-ce pas le biais par lequel elle allait pouvoir leur
transmettre les valeurs essentielles de la société dans laquelle
ils allaient devoir s’insérer? bref, une culture vraie, vivante,
et non une quelconque relique desséchée issue d’un passé mort et
enterré? Comme elle avait été bête, et comme le formateur avait
vu juste! Elle aurait voulu danser de joie, tant elle était
heureuse.
Sans
qu‘elle s’en fût rendue compte, un groupe s’était formé
autour d’elle et Jonathan la regardait d’un air malicieux. La
maîtresse entendit la voix de Joséphine qui murmurait au jeune
garçon:
« T’es
même pas cap! »
Enfin,
le moment tant promis et espéré était arrivé! Les enfants la
mêlaient à leurs jeux, l‘acceptaient parmi eux, et sa mission
pédagogique débutait. Elle inspira lentement, rameuta en hâte
toutes les précieuses connaissances accumulées durant le stage et
se jeta à l’eau:
« -
Maîtresse!
-
Oui, Jonathan.
-Crachmoid’su
et Crachmoid’sa sont dans un bateau. Crachmoid’sa tombe à l’eau.
Qu’est-ce qui reste? »
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