Referendum
Il jeta un coup
d’œil vers la pendule puis vers la télécommande, mais il se
retint d’allumer le téléviseur. Avec un grand soupir, il prit un
haricot vert dans le sachet placé entre sa femme et lui, en retira
les fils et le lança dans la passoire. Son épouse releva la tête
et lui adressa un pauvre sourire. Il tenta de lui sourire en retour
mais chassa bien vite le rictus qui déformait ses lèvres.
«-Nous
n’aurions pas dû y aller aussi tôt. Nous aurions eu moins
longtemps à attendre.
-
Qu’est-ce que cela aurait changé? Et puis, calme-toi. Pour toi, ce
n’est pas si important.
-
Tu es injuste. Tu sais bien que je veux la même chose que toi.
-
Oui. Pardon.», dit-elle d’un ton dubitatif.
Le
silence retomba dans la pièce. Il la regarda, vit le papier peint
défraîchi, le sol maculé, les étagères où s’amoncelaient
pêle-mêle les ustensiles qu’ils n’avaient plus le courage
d’utiliser depuis des mois. Depuis l’annonce du référendum, en
fait.
Tout
avait commencé avec la découverte d’un soi-disant professeur,
d’un quelconque crétin heureux et fier de sa bêtise. Lui et son
équipe -il y a toujours une équipe mêlée à ce genre d’histoire-
avaient inventé l’utérus artificiel, un objet révolutionnaire
« qui allait enfin libérer les femmes de siècles de
servitude »… Les médias s’étaient alors déchaînés pour
vanter ce grand bon en avant, cette merveilleuse percée scientifique
vers les lendemains qui chantent. Et puis la campagne avait débuté.
L’objet était hygiénique, sain, établissait enfin la stricte
égalité entre les sexes, et même entre les femmes. Il permettait
une reproduction contrôlée, sans incidents, sans souffrance, et
réduisait la part du hasard à presque rien. Les associations
étaient alors entrées dans la danse, puis les politiques qui
avaient senti le vent tourner. Tout cela pour en arriver là, à ce
maudit référendum. Fallait-il oui ou non interdire la reproduction
naturelle de l’être humain? Telle était la question. « Oui »,
répondaient les progressistes de tout poil, les amis du genre humain
aux idéaux inoxydables. « Non », répondaient les
passéistes, les grenouilles de bénitier et les fascistes. En tout
cas, c’était ce que les médias avaient laissé entendre avec un
bel ensemble, tout à fait fortuit, sans doute. Il regarda la
pendule. Sa main lâcha le haricot qu’elle tenait et chercha celle
de sa femme qu’elle serra d’abord tendrement, puis avec
désespoir. Du coin de l’œil, il vit que l’autre main de son
épouse se posait doucement sur son ventre. Il se contractait
toujours, dans les moments de tension.
D’un
geste décidé, il appuya sur le bouton de la télécommande et
contempla les scènes de liesse qui se déroulaient dans les rues en
prévision des résultats, les chars rutilants portant de
gigantesques représentations du fameux utérus artificiel qui se
préparaient sur les Champs-Elysées. Il y eut une pub, il y eut un
jingle, et le journaliste sourit car il vit que cela était bon.
Elle
pleurait lorsqu’il éteignit la télé. Lui aussi, d’ailleurs. Il
avait la curieuse sensation que sa tête était vide, que son corps
gisait là, amorphe. Il se redressa pourtant lorsque l’ordinateur
se mit en route et fit retentir l’ « Hymne à la joie »,
comme toujours lorsqu’il transmettait un message en provenance des
institutions européennes. Cette fois-ci, il provenait du Comité
Européen pour l’Hygiène Mentale des Citoyens.
Etant
donnée leur implication dans la campagne qui venait de se dérouler,
sa femme et lui-même étaient dorénavant considérés comme des
sujets à risque. Ils étaient donc conviés à se rendre au plus
vite à la pharmacie la plus proche pour y retirer les
antidépresseurs qui venaient de leur être prescrits. Sa femme était
également inscrite à un cour d’aquagym, où elle retrouverait son
équilibre dans la joie et la convivialité d’un environnement
humain sain.
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