jeudi 16 août 2012

Referendum

Referendum

Il jeta un coup d’œil vers la pendule puis vers la télécommande, mais il se retint d’allumer le téléviseur. Avec un grand soupir, il prit un haricot vert dans le sachet placé entre sa femme et lui, en retira les fils et le lança dans la passoire. Son épouse releva la tête et lui adressa un pauvre sourire. Il tenta de lui sourire en retour mais chassa bien vite le rictus qui déformait ses lèvres.
«-Nous n’aurions pas dû y aller aussi tôt. Nous aurions eu moins longtemps à attendre.
- Qu’est-ce que cela aurait changé? Et puis, calme-toi. Pour toi, ce n’est pas si important.
- Tu es injuste. Tu sais bien que je veux la même chose que toi.
- Oui. Pardon.», dit-elle d’un ton dubitatif.
Le silence retomba dans la pièce. Il la regarda, vit le papier peint défraîchi, le sol maculé, les étagères où s’amoncelaient pêle-mêle les ustensiles qu’ils n’avaient plus le courage d’utiliser depuis des mois. Depuis l’annonce du référendum, en fait.
Tout avait commencé avec la découverte d’un soi-disant professeur, d’un quelconque crétin heureux et fier de sa bêtise. Lui et son équipe -il y a toujours une équipe mêlée à ce genre d’histoire- avaient inventé l’utérus artificiel, un objet révolutionnaire « qui allait enfin libérer les femmes de siècles de servitude »… Les médias s’étaient alors déchaînés pour vanter ce grand bon en avant, cette merveilleuse percée scientifique vers les lendemains qui chantent. Et puis la campagne avait débuté. L’objet était hygiénique, sain, établissait enfin la stricte égalité entre les sexes, et même entre les femmes. Il permettait une reproduction contrôlée, sans incidents, sans souffrance, et réduisait la part du hasard à presque rien. Les associations étaient alors entrées dans la danse, puis les politiques qui avaient senti le vent tourner. Tout cela pour en arriver là, à ce maudit référendum. Fallait-il oui ou non interdire la reproduction naturelle de l’être humain? Telle était la question. « Oui », répondaient les progressistes de tout poil, les amis du genre humain aux idéaux inoxydables. « Non », répondaient les passéistes, les grenouilles de bénitier et les fascistes. En tout cas, c’était ce que les médias avaient laissé entendre avec un bel ensemble, tout à fait fortuit, sans doute. Il regarda la pendule. Sa main lâcha le haricot qu’elle tenait et chercha celle de sa femme qu’elle serra d’abord tendrement, puis avec désespoir. Du coin de l’œil, il vit que l’autre main de son épouse se posait doucement sur son ventre. Il se contractait toujours, dans les moments de tension.
D’un geste décidé, il appuya sur le bouton de la télécommande et contempla les scènes de liesse qui se déroulaient dans les rues en prévision des résultats, les chars rutilants portant de gigantesques représentations du fameux utérus artificiel qui se préparaient sur les Champs-Elysées. Il y eut une pub, il y eut un jingle, et le journaliste sourit car il vit que cela était bon.
Elle pleurait lorsqu’il éteignit la télé. Lui aussi, d’ailleurs. Il avait la curieuse sensation que sa tête était vide, que son corps gisait là, amorphe. Il se redressa pourtant lorsque l’ordinateur se mit en route et fit retentir l’ « Hymne à la joie », comme toujours lorsqu’il transmettait un message en provenance des institutions européennes. Cette fois-ci, il provenait du Comité Européen pour l’Hygiène Mentale des Citoyens.
Etant donnée leur implication dans la campagne qui venait de se dérouler, sa femme et lui-même étaient dorénavant considérés comme des sujets à risque. Ils étaient donc conviés à se rendre au plus vite à la pharmacie la plus proche pour y retirer les antidépresseurs qui venaient de leur être prescrits. Sa femme était également inscrite à un cour d’aquagym, où elle retrouverait son équilibre dans la joie et la convivialité d’un environnement humain sain.

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