vendredi 17 août 2012

Sic transit gloria mundi

Sic transit gloria mundi


Ses clés à la main, il marqua une pause devant la porte de son domicile et prit une profonde inspiration avant de fermer le verrou ; il expira lentement, posément, mais son cœur battait avec force… aussi respira-t-il plus profondément, tentant de retrouver son calme. Cette fois-ci, il était prêt, il en était sûr. Il ne pouvait pas, il ne pouvait plus échouer. Il recula d’un pas et, blême, appela l’ascenseur. C’était là, dès le premier pas, que tous ses espoirs s'étaient vus anéantis la fois précédente, mais cette fois-ci il était prêt, vraiment prêt. Il méditait depuis une semaine, usant de tous les moyens à sa portée pour s’entraîner, pour dépasser ses limites. Depuis trois nuits, il se privait de sommeil et tantôt priait, tantôt fixait ses yeux sur l’écran où il faisait défiler les images qui devaient l’aider à se dépasser, à trouver la force d’aller jusqu’au bout. La nuit dernière encore, il avait absorbé plusieurs litres du nectar qui lui servait à faire exploser les bornes de sa conscience avant de s’infliger les spectacles qui avaient aidé tant de ses semblables à faire partie des élus… non, cette fois, il ne pouvait pas échouer: il était prêt, vraiment prêt, et ce fut d’un pas conquérant qu’il se mit à arpenter la rue. Il sourit en s’apercevant qu’il avait franchi le premier obstacle sans même y penser, et il se congratula sans songer un instant que les subterfuges qu’emploie la destinée pour contrarier nos projets sont infinis.
Cette fois, la fée malicieuse qui avait à tant de reprises eu raison de sa résolution l’attendait à un passage pour piétons. Il traversait fièrement derrière une vieille dame chargée d’un cabas qu’elle peinait à porter et il avait ralenti le pas pour se réjouir tant du minable spectacle qu’elle offrait que de sa propre force et de son indomptable courage. Enfin libéré de sa peur, il se redressait lorsqu’il entendit un grand crissement de pneus et vit une voiture déraper puis s’arrêter. Un chauffard ivre de lui-même en descendit pour injurier les deux quidams qui avaient ralenti sa course vers le bonheur, mais notre héros ne vit rien ou presque de tout cela. Devant lui, la vieille dame tétanisée par la peur avait lâché son cabas et tout son contenu se répandait sur la route. Il se retrouva à quatre pattes, replaçant dans un sachet les pommes qui venaient de rouler sur la chaussée, remettant tant bien que mal les marchandises dans le pauvre sac de toile usé par le temps avant de prendre la femme par le bras et de la guider vers le trottoir en murmurant doucement pour la rassurer. Il la raccompagna chez elle, portant son sac tandis qu’elle se remettait à grand peine de ses émotions.
Un peu plus tard, il se retrouva seul dans la rue, une pomme à la main, entendant la voix de la dame qui s’éloignait en disant à l’une de ses voisines combien elle était ravie d’avoir rencontré un aussi charmant jeune homme. Il vit ensuite les passants qui le regardaient bizarrement et prit conscience des larmes qui roulaient sur ses joues : il avait encore échoué. Il devait courir se cacher, cesser d’offrir un spectacle aussi lamentable.
Il rentra rapidement chez lui, franchit la porte avec un soupir de soulagement et la referma avant de s’y adosser. Devant lui s’amoncelaient tous les artifices dont il avait usé pour s’entraîner en vain.
Des canettes de bière vides jonchaient le sol devant un gigantesque home cinéma réglé en permanence sur un chaîne sportive ; plus loin, un ordinateur exhibait sur son écran des images pornographiques effroyables appartenant à tous les genres : zoophilie, scatophilie, sadomasochisme extrême, nécrophilie qu’il avait recueillies patiemment sur le web. Sur une étagère s’alignaient les « sex toys » et les films classés X les plus variés, et les murs étaient couverts de photos de stars de la chanson ou du cinéma connues pour leurs vies joyeusement débauchées. Rien de tout cela n‘avait suffi.
Il s‘approcha à pas lourds de l‘autel qu‘il avait placé dans une niche et tomba à genoux devant l‘image qui en occupait le centre. Le cœur serré, il fit alors entendre la plainte qui déchirait ses entrailles:
« O Très Bas, j’implore ton pardon! La chair est forte, mais l’esprit est faible… Je t’en prie, viens à mon aide. J’ai encore essayé. J’ai encore échoué. Je t’en prie, O Satan, aide-moi, fais que je ne sois plus différent! O Satan, prends pitié de ton enfant qui t’implore! »

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