samedi 11 août 2012

La souris

La souris

Par un mauvais jour et dans un endroit où vous n'auriez pas aimé vous trouver, il y avait une croix. Dans l'ombre de cette croix était caché un tout petit trou. Dans l'ombre de ce tout petit trou était cachée une minuscule souris.
Comme vous, la souris aurait préféré être ailleurs, car elle avait très peur. Son museau frissonnait, ses moustaches frémissaient et tout son corps tremblait. Les bruits la cernaient de toutes parts, de gigantesques pieds s'abattaient comme au hasard, et tout semblait pris de folie. Cette histoire serait terminée si la souris n'avait pas eu ses enfants auprès d'elle, mais ils étaient là et elle craignait bien plus pour eux que pour elle-même. Non, elle ne pouvait pas rester dans son trou à attendre que le malheur s'abattît sur les siens! Alors elle prit son courage à deux pattes et, laissant ses enfants à la garde des aînés, elle alla voir ce qui se passait.
Elle s'avança en tapinois, se blottissant contre les parois, et le bout de son museau émergea lentement du tunnel. Les moustaches et les oreilles aux aguets, elle scruta les alentours et vit de gigantesques silhouettes assises un peu plus bas- plus bas, parce que cette histoire se déroule au sommet d'une colline-. Elle vit donc ces silhouettes, et vit aussi rouler entre eux de gros cubes couverts de points, entendit de grands bruits qui sortaient de leurs gorges, mais tout cela n'intéressait guère notre souris.
Non, ce qui l'intéressait était situé plus haut qu'elle. Là, il y avait une grande croix de bois et, cloué sur cette croix, un homme, le plus doux des hommes si l'on en croit les souris qui en savent long en la matière, car elles nous connaissent depuis très, très, très longtemps.
Le sang de la souris ne fit qu'un tour, et un tour de souris est vraiment très court, surtout celui de notre minuscule amie. Ce n'était pas bien, qu'il fût là, tout seul. A quoi pouvaient bien penser ceux qui s'agitaient à ses pieds?
La souris sentit la colère l'envahir, et elle se mit à crier à l'adresse des joueurs de dés:
« Skwik! Skweek skeewik! »
Nul n'écouta la pauvre souris. Qu'avait-elle dit? J'avoue l'ignorer, mais les historiens sont formels: elle prononça bel et bien ces paroles; tous les témoignages s'accordent en ce sens, même si nul ne s'accorde sur leur sens.
Voyant que ses remontrances restaient sans effet, elle s'avança, d'abord peureusement, puis avec de plus en plus d'assurance. Elle ne pouvait pas laisser faire ça! N'écoutant que son courage, elle vint au pied de la croix et vit du sang sur le sol. Ainsi, il était vraiment cloué dessus, et nul ne l'aidait! Horrifiée, elle tenta de ronger le bois de la croix afin qu'il pût descendre de là et trouver de l'aide, mais ce bois était très dur et la souris très faible... Elle s'y ébrécha les dents, s'acharna, cria de colère et de douleur, recommença, brisa ses dents, s'acharna encore mais rien n'y faisait. Pourtant, elle n'abandonna jamais.
Entièrement prise par sa tâche, elle n'entendit rien et ce fut à peine si elle eut le temps de voir une grande ombre la recouvrir. Crac! La pauvre souris était morte, écrasée sous la sandale d'un légionnaire.
Cette histoire n’aurait jamais été commencée si elle avait dû se terminer ainsi, car ses narrateurs seraient encore occupés à pleurer le triste destin de la pauvre souris… mais elle n’est en rien pauvre, à présent.
Vous ne la reconnaîtriez guère, car elle luit de santé et a retrouvé toutes ses dents; elle est souvent occupée à creuser son terrier dans l’énorme meule d’un fromage doré comme le plus beau des blés, et sachez que c’est là le meilleur des fromages, issu du lait des plus gentilles vaches.
Ce fromage, elle l’occupe en compagnie de ses enfants et des enfants de ses enfants, et ne le quitte qu’à regret, car elle y connaît un bonheur très doux, et seulement une fois de temps en temps, en souvenir de son étrange, terrible et merveilleuse aventure. Alors, elle se rend auprès des petits enfants bons et courageux qui viennent de perdre une dent en rongeant le fil de la vie et, en mémoire de son exploit, elle leur laisse en échange un joli sou d’argent.

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