mardi 16 août 2016

Vox populi

Un certain jour, en un certain pays, un roi condamna un magicien ;
 Au banc de justice, le premier s'exclama :

« Outre d'iniquité et de vices,

Outre malsaine emplie de tous les péchés,

Outre pleine de malfaisance,

Outre grosse des vices du monde,

Outre éructant la sanie des erreurs des vivants,

Je te condamne au nom du droit que j'incarne,

Je te condamne au nom du bien que j'incarne,

Je te condamne au nom de la vérité que je suis,

Je te condamne, O magicien.

Tout le peuple t'accuse.

Tout le peuple te refuse.

Tu mourras donc sur le bûcher

Car sache, mage,

Que la décision du peuple est sacrée. »

Le silence se fit.

Puis le peuple rugit.

Quand il se tut, le magicien parla.

« Je t'ai entendu, O Roi.

Le droit du peuple, tu l'incarnes.

Le bien du peuple, tu l'incarnes.

La vérité du peuple, tu l'es.

Tu leur a donné pour droit le fruit de leurs erreurs.

Tu leur a donné pour bien la haine de leurs peurs.

Tu leur a donné pour vérité leur propre iniquité.

Tout cela, tu l'as rendu sacré.

Tes mensonges toutefois n'ont pas altéré ma pensée.

Je vais brûler car le peuple le veut.

Tu as donc décidé que le peuple est Dieu?

Grand bien t'en fasse.

Dorénavant tu te prostitueras en public.

Tout le peuple saura qui te nique.

Toutes tes passes dissimulées

Seront par la presse exaltées.

Toi, la dernière des putains,

Toi, qui te vends pour un rien,

Toi, qui n'as rien à donner,

Toi, monceau d'absurdité. »



Il est dit dans le conte que rien ne changea. 
Le peuple, ravi, acclama son roi.

samedi 26 mars 2016

Le temps du rêve

J'ai arraché le couvercle d'un piano à queue puis ai percé celui-là d'un unique trou renforcé de métal à la façon d'un rivet. J'ai passé dans l'orifice du rivet l'extrémité d'un câble volé à un pont suspendu et me voici muni d'un rhombe, instrument certes primitif mais fort approprié.
A l'aide d'une masse, j'ai écrasé un silex mais le geste s'est révélé vain car la pierre, bien loin de prodiguer les éclats attendus, s'est trouvée réduite en une poudre que j'ai regardée, perplexe, car elle aussi me semblait appropriée. Je me suis alors souvenu d'une photo d'aborigène et j'ai souri car le destin m'avait souri.
Toujours déterminé mais prudent cette fois, j'ai frappé un autre silex à l'aide d'un galet vivant, en ce sens que je l'avais trouvé au fond d'une rivière et non pas emprisonné dans l'étreinte du béton d'un quelconque bac à fleurs. Plusieurs éclats acérés ont constitué la récompense de mon acte.
Que me manquait-il ? Une vaste clairière ; du bois mort que j'allais ramasser aux alentours de la dite clairière ; des pierres pour former le cercle dans lequel j'allais invoquer le feu ; du papier et de allumettes pour rendre mon invocation efficace ; un gobelet pour l'eau, un peu de la terre qui serait sous mes pieds, un récipient vide pour contenir de l'air et un autre plus vide encore pour accueillir l'esprit.
Qu'avais-je en trop ? Mes vêtements. Je décidais de les garder sur moi le temps de traverser la ville. Mes pensées. Je n'en avais certes guère mais bien trop toutefois. Je soupirais, espérant que le rituel m'aiderait à les effacer ou du moins à les canaliser. Mes doutes. Ceux-ci, je voulais les conserver jusqu'à ce que le rituel les infirme.
J'ai mis alors mes affaires dans un sac à dos avant de m'arrêter devant le couvercle du piano et le câble du pont. Ils étaient décidément un peu grands pour mon petit sac. « Qu'à cela ne tienne, me suis-je dit, je jouerai du rhombe tout en marchant. »
J'ai donc fait tourner le rhombe, défonçant au passage les murs de mon appartement puis j'ai pris l'escalier car qui peut jouer d'un tel instrument dans un ascenseur ? Aiguisé par le vent, le couvercle du piano tranchait tout alentours mais je prenais bien soin d'épargner les arbres.
J'ai traversé ainsi les rues de la ville au milieu d'une aure floue et sombre crée par le rhombe que j'entendais à peine tant le bruit des klaxons des voitures tranchées net par l'instrument primitif se faisait insistant.
Je montais vers le sentier qui allait me mener à la clairière quand je l'ai entendu pour la première fois. Je m'arrêtais à l'orée du sentier. Pour pouvoir avancer, je devais laisser le rhombe trancher des arbres. Serait-ce de bon augure pour ce que je me proposais de faire ? Dans le doute, j'avançais car nécessité fait loi.
Le sentier, considérablement élargi, m'a mené à la clairière choisie. J'ai alors fait taire le rhombe pour me repaître de silence et de nuit. Repos perdu, car je n'étais pas très loin du parking de la voie rapide où tant de gens s'assemblent pour rompre des interdits qu'ils n'ont jamais connus et goûter aux relents d'un péché décomposé bien avant leur naissance.
Je me dénude puis je pars chercher du bois et des pierres. Le cercle du feu est bien vite mais soigneusement formé aux sons du rut qui m'environnent et du bruit des voitures qui ne passent pas très loin. Sur une roche j'assemble les coupes. Ayant oublié de me munir d'eau, mon envie d'uriner ne me dérange plus.
Je fais une brassée de mes vêtements et les jette dans le feu. Mes instruments sont alignés sur le peu d’étoiles que je distingue au travers des lumières qui émanent de la ville. Je m'assieds et j'écoute mon cœur battre et me donner le la. Je suis prêt.
Non. Je prends un morceau de silex acéré et je trace un sillon dans mes parties génitales, puis un autre avec un autre silex, et ainsi de suite jusqu'à ce qu’apparaisse en moi le nom du rêve. Ceci fait, je macule mon corps enduit de sueur de la poudre blanche du silex broyé en laquelle subsistent de minuscules éclats qui tranchent ma peau. Des rigoles de sang tracent d'étranges runes sur ma chair que je souille du fruit de mes efforts. Elles apparaissent noires dans l'éclat du feu.
Je suis prêt à présent et au son de mon cœur j'entame la danse. J'ai oublié le rhombe qui tourne autour de moi, bénissant mes errements de son mugissement qui vient percer la nuit. Je crois que je crie quelque chose mais la danse m'emporte et je n'y prends pas garde. Chacun de mes pas célèbre un battement de mon cœur et je danse ma vie puis la danse me prend et d'autres pas effacent ce que mes pieds ont écrit.
Dans la brume du rhombe je vois des gens s'avancer, se pénétrant à grands cris tandis que je danse. Un cri orgasmique tente d'escalader le ciel mais tous tombent et me laissent enfin vivre le silence.
Mon cœur bat à tout rompre à présent mais je ne dois pas me reposer. J'ai des signes à tracer.
Une dernière pause. Mes mains emplies de poudre de silex tracent une ligne du ciel à la terre puis de la terre au ciel. La poudre s'envole et retombe ou s'en va dans le vent tandis que ma danse reprend. Comme mon cœur se calme, elle se fait plus lente.Dans cette page blanche mes pieds trouvent le rythme de la vie. Dans le sombre du ciel mes mains écrivent le rythme de la vie.
Ma danse doit s'arrêter. Tout en elle est consumé. La danse, elle, va continuer car tout est consommé. Le rhombe s'est tu. Je regarde au dessus de moi le ciel étoilé, sens au dessous de moi la terre tant foulée et je respire. Le monde a retrouvé un sens.

mercredi 24 février 2016

Sarregadore

Je voudrais amenuiser chacun de tes pas jusqu'à ce qu'il dure cent ans.Je voudrais que chacun de tes souffles dure mille ans. Je voudrais que tout de toi dure plus que le temps. Je voudrais que tu sois là éternellement. Je voudrais passer dans ta vie comme un papillon, butinant ma joie sur ta peau et goûtant ton sourire. Je voudrais être une abeille et enrouler ton odeur et ta saveur pour en faire un miel aux  subtils arômes qui toujours seraient toi.Je ferais alors une cire pour prévenir l'hiver, une cire emplie de toi, de ton goût, de ton odeur, de ta saveur, du son de ta voix, de ta présence auprès de moi, de ta peau sur ma peau, du feu de ta présence qui m'emplit de la joie d'être moi car tu es ici, à coté de moi.

Je suis là et je regarde la pluie tomber.
Je n'ai rien dans les mains  et je regarde la pluie tomber.
Je n'ai pas de ta cire pour prévenir l'hiver, je n'ai rien de ta voix pour lutter contre moi.
 Je n'ai rien dans les mains  et je regarde la pluie tomber.
L'hiver est là.