mercredi 22 septembre 2021

Sur les routes


La boue du monde colle à tes pieds fatigués
De chasser le bonheur tout autour de la terre,
Poursuivant des désirs sur lesquels tu t'enferres ;
De retour sur tes pas, tu recherches un gué.

Ton absence d'espoir, rien n'a pu l'endiguer :
Vas-tu continuer, jusqu'à ce qu'on t'enterre,
D'arpenter les sentiers, le dos chargé de pierres ?
Qu'as-tu fait de la vie qu'on t'avait prodiguée ?

Tu passes parmi des buissons de mains tranchées
Qui ont poussé sur des talus d'yeux arrachés ;
Quand renonceras-tu à la lèpre du monde ?

A l'aube de l'Eden, les chérubins patientent ;
Ils y ont déposé la lame flamboyante :
L'épée est là pour toi, afin que tu t'émondes.

Note : Ce texte se réfère notamment à Genèse 3, à Matthieu 5-29 et 5-30 ainsi qu'au Magandiya Sutta, déjà évoqué ailleurs sur ce blogIl va de soi que se mutiler en se justifiant par de tels écrits serait vain ; les exemples connus de ce type de comportement se sont révélés très décevants pour leurs auteurs qui n'ont rien trouvé d'autre dans leur geste que la douleur et la déception.


lundi 13 septembre 2021

Sur les flots


Les voyageurs errent, tels des âmes en peine,
Leurs visages blafards éclairés par l'écran
Qui guide leur conduite et les aligne en rangs
De « drones » 
sans pensée pour qui la vie est vaine.

Ils sont vides de tout, sauf de leurs directives
Qui les font s'agiter en mimant des envies,
N'ayant pour paradis que leur propre survie
Et pour seul horizon l'acceptation passive.

Pour un peu de confort, ils ont vendu leur âme,
Noyé leur avenir dans un plat de lentilles
Et troqué leur raison contre quelques vétilles :
Eux qui tenaient la barre ont pris place à la rame.

Sur le pont du bateau, des commerciaux joyeux
Fêtent leur plus gros coup en buvant des liqueurs ;
Ils forment à eux tous le plus heureux des chœurs
Que dirige un écran aux doux reflets soyeux.

Plus haut, sur la dunette, on trouve une machine
Reliée au capitaine et lui donnant la route ;
Elle a charge de tout, de là jusqu'à la soute :
A son commandement, tout un chacun s'échine.

Nous parcourons la vie sans rien apercevoir :
Ecran devant les yeux, casque sur les oreilles,
Chacun se croit le dieu de toutes ces merveilles ;
La machine est pour nous comme une tour d'ivoire.

samedi 4 septembre 2021

Sur les ondes


    J'ai trouvé, dans un vide-grenier, un vieux poste à galène. Oh, c'est bien l'appareil le plus rudimentaire qui soit puisque c'est la main qui promène l'aiguille sur le cristal pour y traquer l'onde cachée.

    Avant de pouvoir l'utiliser, il m'a fallu réparer quelques fils un peu fatigués, rafraîchir une membrane racornie, dépoussiérer des circuits, bien briquer, laisser tout reposer, vérifier, ajuster et revérifier.

    Sans être maniaque, question propreté, il me semble judicieux de surveiller et d'entretenir les choses dont votre survie dépend. Que faire alors quand l'enjeu dépasse de loin votre existence ? Ce que je fis et davantage.

    Enfin l'appareil est là, juste devant moi, prêt à l'emploi. Je respire doucement, posément, apaisant mon corps pour ne pas troubler mon esprit et mon esprit pour ne pas troubler mon corps, et ma main promène l’aiguille sur le cristal.

    Parfois, hélas, le haut-parleur se met à vomir un torrent de sons qui trouble tant mon esprit que mon corps, et un sursaut me condamne à tout recommencer mais peu à peu, j'apprends à maîtriser mon geste.

    Le plus difficile, c'est quand le signal semble important.

    Bien sûr, importante, ma quête l'est vraiment, mais et le destin du cosmos, des amas de galaxies, de la nôtre, du système solaire, de la planète, des océans, des continents, des pays, des régions, des départements, des cantons, des communautés de communes, des communes, des quartiers, des rues, des bâtiments, des pièces et de leurs occupants ? Quelque chose peut-il être plus important ?

    Et puis, comment vais-je bien pouvoir choisir entre les savons « Tousidou » et « Naturio » si je n'écoute pas les publicités jusqu'à la fin et si leur musique cesse de résonner dans ma tête ? Et les yaourts ? Et les parfums ? Et les voitures ? Et les banques ? Et les jeux vidéos ? Et les tenues de sport ? Et les assurances ? Et les lessives ? Et les smartphones ? Et les crédits ? Et la propagande officielle ? Et la propagande privée ? Hein ? Que faire si je ne sais pas ?

    Et bien, rien, si possible. Ou bien très peu. Si je me trouble davantage, je vais cesser mes recherches, me lever, boire une boisson vitaminée, lire, brancher un jeu vidéo ou essayer de travailler, et la journée sera entièrement perdue.

    L'agitation compulsive et convulsive de ma main a ralenti puis cessé. Ma respiration s'est apaisée et mon esprit calmé. Lentement, doucement, posément, l'aiguille parcourt la galène, égrenant les brouhahas de la vie.

    Et, entre deux déluges sonores, entre deux cyclones de bruit, l’œil : le vaste, beau et grand silence, tout lumineux et souple de présence. Et puis je me souviens d'une vanité vitale, et puis l'aiguille dérape, et puis le bruit reprend.

    Et pourtant, et pourtant : peu à peu, le brouhaha devient bruit, puis vétille, et puis s'évanouit ; la main s'apaise et vient reposer dans mon giron, tranquille ; mon esprit ne cherche plus, apaisé.

    Un jour il fera jour, à jamais.