samedi 24 décembre 2022

Berceuse mortelle

 Note préalable : Ce poème offre la particularité d'avoir été écrit pour être chanté, surtout par un duo, même s'il peut bien sûr être lu normalement. Pour ce faire, j'ai adapté l'air du refrain de la célèbre  "Canchon Dormoire" d'Alexandre Desrousseaux. Il me semble que le résultat pourrait être intéressant. J'ai posté sur Youtube une vidéo indiquant l'air en question. Comme je ne suis pas chanteur, je me suis contenté d'indiquer les notes : c'est à l'éventuel interprète de décider de leur longueur, du tempo approprié, etc. L'adresse à copier dans la barre de votre navigateur est la suivante :

https://youtu.be/Bbi9ss58HBI

Je vous souhaite un joyeux Noël.


La mère :


Dors, mon bébé, dors,
Maman va t'apprendre à mourir ;
Ici on s'en sort,
Mais chaque jour est pire.

Mon bébé, sois fort,
C'est ainsi que ça va finir ;
Dors, mon bébé, dors,
Mais sois prêt à partir.

Ô, mon cher trésor,
La vie consiste à dépérir ;
C'est ton triste sort,
Dors bien pour l'adoucir.


Le père :


Dors, mon bébé, dors,
Mais prépare-toi à souffrir ;
Mon enfant, la mort
Nous tient sous son empire.

Mon bébé, sois fort,
Affronte ta vie sans gémir ;
Dors, mon bébé, dors,
Mais veille à t'aguerrir.

Ô, mon cher trésor,
Un jour il te faudra périr ;
Tel est notre sort,
Dors pour bien l'accomplir.


Ensemble :


Dors, cher bébé, dors,
Ton père et ta mère t'admirent ;
Quel que soit leur sort,
Ils vivront sans fléchir.

Grâce à toi, trésor,
Nous saurons malgré tout tenir ;
Tes parents adorent
Chacun de tes soupirs.

Face à notre mort
Nous pouvons quand même sourire :
L'amour nous rend forts
Même devant le pire.


Note finale : Merci à B.D. pour une modification bienvenue du vers 2 et quelques suggestions très utiles.


lundi 12 décembre 2022

DAFB 11 - Oniromancie

 

- J'ai rêvé du vieil homme qui donne à manger de la chair humaine aux corbeaux.

- Nulle part. Et jamais.

- Alors que voulez-vous savoir ?

- J'ai rêvé du vieil homme qui donne à manger de la chair humaine aux corbeaux.

- C'est vous qui posez les questions. Je ne fais qu'y répondre.

- J'ai rêvé du vieil homme qui donne à manger de la chair humaine aux corbeaux.

- Alors pourquoi m'interrogez-vous ? Pourquoi me posez-vous des questions, si vous ne voulez pas entendre mes réponses ?

- Je vous l'ai déjà dit. Nulle part. Jamais. C'est là que se situent les rêves et c'est bien là tout le problème. Comme ils sont nulle part et jamais, ils peuvent vous trouver partout et tout le temps.

- Je ne répondrai plus à cette question. Vous ne voulez pas connaître ma réponse.

- Il était assis sur un banc, dans un parc. Il avait posé un sac à côté de lui, l'un de ces sacs en plastique que l'on vous donnait dans les magasins, avant. Sauf que le sien était dégoûtant de sang.

- Hein ? Oh oui. Une paire de baskets, de vraies baskets, les montantes. Une culotte de jogging bleue. Bleu-marine, en fait. Un t-shirt rose pastel avec une phrase en rouge écrite dessus, devant et derrière. Une casquette de base-ball, je ne sais plus de quelle équipe. Une...

- Va te faire enculer.

- Ohé, du calme ! C'est vous qui vouliez le savoir !

- Ho... Non, vous m'avez mal compris. C'est ça qui était écrit sur son t-shirt : va te faire enculer.

- Il avait l'air d'avoir environ soixante dix, soixante quinze ans. Ses traits étaient plutôt fins et il portait une moustache blanche. Le crâne dégarni, je crois, même si je n'en suis pas sûr à cause de la casquette ; les cheveux mi-longs ramenés sur la nuque. Rien de spécial, en fait.

- C'est parce qu'il la portait à l'envers, comme certains aiment le faire.

- Et bien, de temps en temps, il mettait la main dans son sac, en tirait un bout de chair humaine et le jetait aux corbeaux qui l'entouraient.

- C'est lui que me l'a dit.

- En fait, tout ça était très bizarre, même pour un rêve. Voyez-vous, il avait l'air de bien me connaître et savait des choses sur moi, des choses que je ne vous dirai pas. Et moi, je l'ai appelé deux fois papa et une fois maman. Quand j'y repense, c'est vraiment étrange, non ?

- Je vous l'ai déjà dit. C'est pour ça que je suis parti. À cause de ce rêve. J'avais l'impression que quelque chose n'allait pas, quand je me faisais héler dans un parc public par un vieil homme qui donne de la chair humaine à manger aux corbeaux. Même en rêve. Je crois que j'étais un peu spécial, à l'époque. D'un autre côté, me direz-vous, comment aurais-je pu savoir alors ce qu'est vraiment un rêve ou à qui ils appartiennent ?


D A F B (table des matières)

Sommaire général

mardi 6 décembre 2022

Évaluer ses valeurs pour vivre sa vie

 

Mes biens chers amis, je vais à présent vous annoncer une nouvelle dont j'espère qu'elle vous réjouira autant que moi. Mes chefs se sont montrés extrêmement satisfaits d'un petit essai que j'ai produit et ont décidé de le faire lire à tous les étudiants des différents séminaires de formation interne que propose notre ministère. À vrai dire – l'orgueil me guette – ils ont même décidé de le faire imprimer pour cet usage, et cela malgré tous les efforts que fait notre beau pays pour participer à la sauvegarde de l'environnement ! Mérite-t-il un tel honneur ? J'avoue l'ignorer mais j'ai confiance en mon administration ainsi qu'en la sagesse de ses choix et je suis plus qu'heureux d'apporter ma petite pierre au splendide édifice qu'est la formation des serviteurs de l'état.

Mais je préfère laisser là mes vantardises pour vous proposer de lire un extrait de mon texte. Vous pourrez ainsi juger par vous même de sa valeur réelle. Même si je crois les mots-valises que j'ai forgés assez parlants, j'indique tout de même ici qu'ils ont tous la même formation : un préfixe, COUT (débit) ou VAL (crédit) et un suffixe constitué des trois lettres (ou quatre pour éviter des confusions) formant le début d'un autre mot. Ainsi, VALAMO désigne un crédit amoureux tandis que COUTAMO désigne un débit amoureux. Ajoutons tout de même qu'une appellation souvent utilisée dans mon ouvrage, la VALSYM, n'a rien a voir avec la sympathie et tout avec les symboles : que l'on songe un peu à la fameuse mais à présent sulfureuse notion de « trophy wife ». Elle est le témoignage concret de la VALPRE puisqu'elle peut être l'objet d'un commerce, ce qui n'est pas le cas du prestige : une agence spécialisée peut vous aider à en gagner mais personne ne peut vous le vendre.


« (…) Le lecteur attentif et besogneux dispose à présent d'un ensemble d'items chiffrés dont la valeur va de 1 à 100 qu'il va pouvoir manier en suivant les formules indiquées ci-dessous afin de mieux comprendre ses propres choix et d'améliorer ses prises de décisions. Ils sont exprimés en dollars ($) pour une raison simple : c'est la seule valeur qui fasse l'unanimité de l'humanité car elle symbolise l'ensemble de ses aspirations.

Des collègues m'ayant reproché de n'avoir recours dans mes formules qu'aux deux opérations les plus élémentaires, l'addition et la soustraction, je tiens à dire pour ma défense que nous fonctionnons tous d'une manière beaucoup plus simple que les gens aiment le croire : mon but étant de montrer au lecteur la vérité par delà tout le verbiage dont on l'enveloppe en général, je n'ai pas ressenti le besoin de la noyer dans un océan de complexité aussi vaine qu'ennuyeuse.

Ainsi, j'ai abandonné mes amis de jeunesse parce qu'ils avaient perdu leur VALATT. Pourquoi cela ? Ils représentaient un COUTECO et un COUTTEM importants sans pour autant avoir assez de VALPRE ou de VALSYM pour justifier l'investissement. L’addition, la soustraction et la comparaison des résultats suffisent à expliquer mon choix, qui fut sage même s'il fut inconscient, tout comme le fut celui qu'ils firent en me désertant.

J'aime ma femme en raison de sa VALECO et cet amour est payé de retour parce que je représente pour elle une VALSEC importante. J'aime mes enfants en raison de leur VALSYM et de leur VALSEN. C'est encore une fois surtout en raison de ma VALSEC qu'ils m'aiment aussi, même si ma VALECO n'est pas négligeable, y compris par rapport à celle de ma femme.

Je pense que ces exemples suffisent pour montrer à mon lecteur la valeur de cette approche méthodique. S'il se demande pourquoi les notions les plus subjectives comme la VALSEN ou la VALAMO interviennent si peu dans la plupart des calculs, je le prie de se souvenir de la règle des 3 items qui sert ici de rasoir d'Occam : on ne retient que les trois les plus pertinents. Une réflexion attentive conduit bien souvent à s'apercevoir que l'attitude, les actions et les pensées d'une personne ne dépendent pas de ses émotions ou de ses sentiments ; c'est en fait l'inverse qui est vrai. Nous nous attachons à ce qui nous apporte des bienfaits réels ou supposés, tout simplement, puis nous affichons aux yeux des autres comme aux nôtres les sentiments convenant à la posture que nous avons adoptée.

Ainsi, bien que n'étant pas intéressé par l'aspect physique des hommes, ils m'attireraient et je coucherais avec eux si cela pouvait m'apporter quelque chose d'important à mes yeux ; je serais alors prêt à jurer mordicus que je les aime tout en le croyant moi-même. Les gens n'ont pas une vocation en fonction de leurs mœurs mais adoptent des mœurs en fonction d'un but jugé valorisant. Goûts artistiques, opinions politiques, désirs amoureux, croyances religieuses, tout cela est tout un et n'a pas la moindre valeur pour l'être humain. Il ne s'y attache que parce qu'il croit pouvoir en tirer un bénéfice quelconque. Un professeur de droite n'est pas plus de droite qu'un professeur de gauche n'est de gauche : l'un mime la respectabilité tandis que l'autre mime la générosité, chacun prétendant avoir opéré un choix en fonction des ses opinions et de sa sensibilité personnelles alors qu'il a adopté lesdites opinions et sensibilité pour s'assurer ce qu'il croit être une place au soleil. »


Contes (table des matières)

Sommaire général