jeudi 23 avril 2020

DAFB - 4 - Neuf Doigts

Discours et anecdotes de la forêt des bambous plus hauts que les montagnes mais moins vastes que le ciel :
Les Neuf Doigts


Le jour où je fis la connaissance des membres de la secte des Neuf Doigts, je m'étais levé de bon matin et j'étais allé me baigner dans la rivière qui passait non loin de la hutte que j'occupais et qui l'envahissait souvent après les pluies les plus abondantes, allant parfois jusqu'à la réduire à néant.
Cul nu, vautré dans l'eau et les doigts de pied en éventail, je vis surgir devant moi une sorte de vagabond crasseux, malingre et dépenaillé dont les hardes évoquaient vaguement une tenue monastique. Soudain, il me montra de son poing fermé. Un peu interloqué, je le fixais des yeux sans trop savoir que faire ou que dire.
Il rabattit son poing en arrière avant de le tendre à nouveau vers moi, la mine dépitée. Je jetais un coup d’œil aux alentours, en quête d'un indice qui m'aurait permis de comprendre ce que cet individu voulait de moi mais rien n'attira mon attention.
S'approchant de moi, l'espèce de moine malingre s'exclama : « Regarde la lumière, et non le doigt ! »
Brandissant son poing fermé toujours tendu vers moi, il se mit à danser sur place une sorte de gigue tout en répétant à foison :
« – Regarde la lumière, et non le doigt! Regarde la lumière, et non le doigt ! Regarde la…
Clac ! »
Je venais de claquer violemment des mains, espérant le faire sortir ainsi de sa transe insensée.
Il cessa de gigoter pour me regarder en haletant durant quelques instants qui me parurent durer des heures. Enfin, il se redressa pour prononcer d'une voix rauque la phrase qui semblait constituer le cœur de son obsession « - Regarde la lumière, et non le doigt !
Mais enfin, quel doigt ? »
Dès que j'eus prononcé ces mots, l'individu malingre se redressa, le visage empreint d'une telle joie que l'on aurait cru qu'il venait de voir la grande lumière qui ne brille pas.
Il a vu ! Il a vu ! Coupez-lui le doigt ! Coupez-lui le doigt !
Surgissant des fourrés, une quinzaines d'hommes, vêtus comme des moines, aussi dépenaillés que le premier, se mirent à courir vers moi en brandissant qui un couteau, qui un rasoir, qui des ciseaux.
Heureusement, j'étais un bon nageur. Eux, pas.

Un peu plus tard, je racontais cette histoire au maître de mort qui dut cesser de creuser sa tombe tant il riait. Ce fut lui qui m'expliqua que les membres de la secte se nommaient entre eux « Ceux dont le Doigt Absent est Pointé vers l'Ultime Vérité », mais que les moines du cru les appelaient plus simplement « Neuf Doigts ».





DAFB - 3 - Le Phénomène

Discours et anecdotes de la forêt des bambous plus hauts que les montagnes mais moins vastes que le ciel :
Le Phénomène


Cette fois-là, j'avais décidé de rendre visite à une véritable légende. Dans chaque village où j'étais allé mendier avec mes collègues et même parmi ceux-ci, il était considéré avec un immense respect et chacun avait un avis sur lui. Toutefois, il m'était vite apparu que peu de gens, voire aucun, ne savait quoi que ce soit de sûr à son propos.
Malgré tout, chacun s'accordait pour affirmer que la dite légende ne se levait jamais de son siège de méditation, et tous croyaient qu'il y avait passé des années. Je veux tout de même noter ici qu'un nombre substantiel de moines n'en parlaient jamais, en bien comme en mal, et que mes questions leur arrachaient tout au plus des sourires entendus.
Le voyage dura quatre jours, ma hutte étant assez éloignée du lieu de retraite du phénomène. La forêt, qui constitue une sorte d'immense monastère dont les habitants ne se croisent que rarement, a des charmes insoupçonnés aux yeux de qui aime la foule mais qui emplissaient mon âme d'une aise inexprimable. En parcourant des sentiers à peine visibles tant ils étaient peu empruntés, je murmurais en mon cœur ainsi que me l'avait enseigné un pèlerin venu de la lointaine Russie durant mon séjour en Terre Sainte, connaissant des joies à nulle autre pareilles. Pour cela seul, je me sens redevable envers l'anachorète que je vais décrire à présent.
La clairière dont il avait fait sa demeure se trouvait à flanc de colline, à l'entrée d'une grotte. Ai-je déjà dit combien les plus acharnés des sectateurs du Bouddha aiment la retraite ? Ce lieu était une manifestation de ce goût dans sa version la plus extrême. Comment diable pouvait-il mendier sa nourriture en vivant si loin de tout ? Cette énigme me laissait perplexe, d'autant que le problème allait se poser pour moi de manière aiguë.

Voyant que le moine était en train de méditer, je m’installais à l'écart et me recueillis, évitant peut-être de me rendre importun. Quand je jetais à nouveau un œil sur lui, je vis que ses yeux étaient ouverts et qu'il me regardait. Il n'était pas du tout impressionnant. Il n'était pas non plus anodin, pas plus que sa présence n'était neutre. Je crois que n'importe qui aurait pu voir n'importe quoi en lui, et que lui-même ne s'en serait porté ni mieux ni plus mal.
Après l'avoir salué comme il convenait, je m'installais près de lui et finis par lui demander si les légendes qui couraient sur son compte étaient vraies : restait-il totalement immobile jour et nuit, jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, assis à méditer sans tenir compte de rien ?

Comme il levait vers moi sa main munie de son chapelet, je fis un écart vite réprimé, ce qui le fit sourire.
Dis-moi, mon ami, est-ce que de la mousse a poussé sur mon crâne ?
Non, vénérable.
Des oiseaux ont-ils fait leur nid dans mon giron ?
Non, vénérable.
Ai-je l'air émacié ? Affamé ?
Non, vénérable.
Est-ce-que je sens la pisse, la merde, ou même la sueur ?
Non, vénérable.
Alors pourquoi poses-tu des questions aussi stupides ?
Ce ne fut qu'alors que son chapelet se déroula tel un cobra en colère. Tandis que ma peau éclatait et que mon sang giclait, j'entendis le moine s'écrier : « Idiot ! »

DAFB - Cénotaphe

Discours et anecdotes de la forêt des bambous plus hauts que les montagnes mais moins vastes que le ciel :
Cénotaphe

Perdre un collaborateur de la valeur de Guillaume Chervais est une tragédie pour notre revue mais elle doit poursuivre sa route envers et contre tout. Dans ce numéro rendant tout entier hommage à notre collègue disparu dans le massif pyrénéen depuis à présent six mois, nous avons souhaité offrir au lecteur les derniers feux d'artifices intellectuels tirés par cet esprit brillant mais ce serait faire une entorse à la vérité qui lui était si chère que de dissimuler au public ses dernières notes.
Travailleur acharné, il s'était attelé, juste avant ce que j'ose nommer sa fugue dans la déraison, à la rédaction de l'essai consacré en grande partie au sinistre Théophore du Paraclet dont il avait si laborieusement retranscrit les élucubrations, mais aussi, d'une manière générale, à la discipline qui lui tenait à cœur, l'histoire des religions. Nous publions ici quelques notes manuscrites que nous avons retrouvées dans ses carnets après avoir constaté la destruction de son ordinateur par notre auteur lui-même. Nous espérons ainsi rendre hommage à la mémoire d'un chercheur consciencieux qui nous était cher. La numérotation respecte l'ordre dans lequel l'auteur semble les avoir rédigées. Rappelons au lecteur que ce ne sont que des notes de travail écrites sans doute très vite et plutôt désorganisées.

1) Comme l'église le répète souvent, un chrétien isolé est un chrétien en danger, et ceci parce qu'en perdant le contact avec l'esprit du groupe et les moyens de coercition de ce dernier, le chrétien peut s'extraire du formalisme machinal d'un culte respectable pour se tourner vers l'inspiration spirituelle dans une liberté intérieure dangereuse. D'un point de vue social, la liberté de l’athée est sans importance puisqu'il continue en général à propager les valeurs lénifiantes du consensus ambiant. Le spirituel, en revanche, fait surgir ce qui doit rester caché : une part de la nature humaine qui est susceptible de lutter férocement pour être libre et qui est également capable de produire un message original et transformateur si un directeur prudent ne l'étouffe pas lentement sous la pression sociale.

2) La meilleure image du sort qu'il faut réserver au croyant libre est celle du supplice qui consiste à placer le sujet sous une planche que la foule couvre lentement de lourdes pierres : on vide ainsi le pneumatique de son pneuma, si on me permet ce jeu de mots certes terrible mais tellement révélateur.

3) La Chine a rejeté le bouddhisme parce qu'elle était déjà dotée d'un système administratif efficace.

4) La religion structurée joue le même rôle social que le parti politique : noyer l'esprit vivifiant dans la boue du groupe.

5) La raison d'être de la religion est de donner naissance à la technocratie dont ses clercs formeront la première armature.

6) La religion idéale relie les fidèles à l'état comme la laisse relie le chien à son maître.

7) Historiquement, le premier but d'une religion est de se débarrasser de l'esprit libérateur de son fondateur pour pouvoir jouir des bénéfices mérités par un bon instrument du pouvoir en place. Il est dans la nature de ce dernier de tenter d'établir sa domination absolue sur ses sujets. La police lui permet de régner sur les corps mais c'est la seule religion qui peut lui offrir de dominer les esprits.

8) En formalisant le geste révolutionnaire du fondateur, la religion en fait un moyen de régulation sociale. C'est ainsi que l'évêque habile montre qui est le chef en lavant les pieds d'un pauvre anonyme : humilité formelle, domination réelle.

9) Le bon religieux est une machine efficace dont le fonctionnement est parfait parce qu'il a pleinement intégré le carcan des règles imposées par les intérêts légitimes de l'humanité.

10) La mise en place d'une technocratie mondiale appuyée sur le progrès technique et l’envahissement des âmes par les procédés de communication modernes va rendre les religions inutiles.

11) Il nous faut bâtir des murs de théories et de croyances pour construire une prison solide autour de l'esprit.

12) Si les chefs religieux sont habiles, la voix du Christ du chrétien, l'intuition spirituelle du bouddhiste deviennent les simples échos du message social, produisant des pratiquants qui œuvrent pour le bien de la collectivité.

13) Lorsque le directeur spirituel est un habile technocrate, il sait utiliser l'élan religieux pour créer des richesses, pour produire une plus-value, tant morale que sociale ou matérielle.

14) Un véritable moine, bouddhiste ou chrétien, est un administrateur compétent ou un fonctionnaire zélé dont les dossiers bien tenus assurent la cohésion de son ordre et le maillage d'une population sous contrôle. Il s'est anéanti pour devenir un rouage parfait dans un outil parfait.

15) T. du P. souille le renom de deux grandes religions qui ont, chacune à sa manière, contribué au progrès du genre humain.

16) La première vertu du religieux est l'ambition qui le soumet à ses supérieurs. La seconde est l'avidité qui le contraint à tenter de plaire aux laïcs. Les deux en font un instrument docile de l'état.

17) L'Inde a rejeté le bouddhisme parce que cette religion remettait en cause l'essence-même de la structure sociale de ce pays, ou plutôt, à l'époque, de ce conglomérat d'états de cultures très proches, voire identiques : le système de caste qui tendait à se rigidifier. Je pense parfois que le Bouddha, comme le Christ, ne s'intéressait guère à la religion. Israël a d'ailleurs eu le même type de problème avec son propre réformateur mais l'a réglé différemment.

18) J'en suis venu à avoir pitié de ce vieux fou. J'espère qu'il lui restait assez de briques pour reconstruire des murs.

19) Les monastères sont, d'un certain point de vue, des lieux où la société range des sociopathes dangereux qu'elle sait pourtant rendre utiles. Ils sont pour les laïcs un bon exemple du sort qui les attend s'ils refusent de collaborer à leur incarcération dans la vie quotidienne : ne plus avoir donc ne plus être.

Les entrées suivantes manquent trop de cohérence pour pouvoir être rapportées. Guillaume Chervais n'était de toute évidence plus en pleine possession de ses facultés intellectuelles à ce stade de son manuscrit. A titre d'exemple, voici ce qu'il a écrit en guise de plan général de son ouvrage (c'est lui qui le nomme ainsi) :

Partir bifurquer sans se détourner pour regarder ni lever les yeux pour voir partir s'en aller dévier cheminer avancer partir aller aller aller chercher ce qu'on a trouvé ? Sens ? Qu'entendait-il par là, ce vieux fou ? Ce salaud était libre il n'avait pas le droit mais il l'était quand même. Et puis, pourquoi est-ce drôle ? Qu'y-a-t-il d'amusant là-dedans ? Il n'avait pas peur ce n'est pas bien. Ou alors il avait peur mais aussi courage ce n'est pas bien non plus. Ce salaud savait où il allait, j'en suis sûr. Et il est parti tout seul , sinon pourquoi la fin ? A-t-il quand même pris des briques pour refaire ses murs ? Non, il est parti tout seul. (S'ensuit une page presque pleine de répétitions des verbes « partir » et « aller ».)

Pour clore le numéro de cette revue consacré aux travaux de Guillaume Chervais, nous proposons au lecteur quelques textes de Théophore du Paraclet retranscrits par les soins de notre précieux collaborateur dont le décès prématuré, hélas, semble évident. Puisse-t-il reposer en paix.







lundi 20 avril 2020

DAFB - Final

Discours et anecdotes de la forêt des bambous plus hauts que les montagnes mais moins vastes que le ciel :
Final

Comme le maître de souffrance avait raison, mon cher Seigneur, et comme j'ai pu errer ! Tandis que tu agonisais, je dormais. Pas plus que les apôtres, je n'ai pu m'empêcher de te crucifier par paresse et par lâcheté. Je remplissais ma bouche de grands mots, mais que faisais-je de mon cœur ?

Aimer, c'est vouloir le bonheur de l'autre, et ton bonheur est mon salut. Si je veux ton bonheur, je dois te laisser me sauver.

Je dois cesser d'empiler les briques de ma propre prison. Pour reprendre le langage du maître de guerre, Mara, c'est moi, le Bouddha, c'est moi : tant que je suis mes idées, je suis prisonnier. Ce qui change, c'est tout au plus la couleur de mes chaînes.

Je vais partir, mon cher Seigneur, je vais partir avec toi, qui seul ne m'as jamais abandonné, même quand je te reniais à chaque instant à travers chacun de mes actes, chacune de mes paroles, chacune de mes pensées. Je vais aller sur les chemins de la forêt pour y chercher ce que j'ai trouvé.

Je vais laisser ici tous ces feuillets que j'ai accumulés. Qui sait ? Quelqu'un y lira peut-être quelque chose ?

Je vais partir sur les sentiers, comme l'ont fait tant de ces moines qui me sont devenus chers, sans aller où que ce soit mais sans plus m'enfermer.

Je regarde les murs de ma hutte, ces murs qui sont si souvent tombés à cause de la pluie et que j'ai toujours reconstruits. C'est drôle, quand on y pense.

DAFB - Présentation de l'épilogue

Discours et anecdotes de la forêt des bambous plus hauts que les montagnes mais moins vastes que le ciel :
Présentation de l'épilogue

Après ces textes d'introduction, il me semble pertinent de proposer de parcourir l'épilogue de l’œuvre de notre auteur. Ainsi, le chercheur averti saura reconnaître dans les autres extraits proposés les indices du cheminement qui y est suivi.

Si j'ai pu épargner au lecteur le pénible pensum qu'est l'introduction de l'ouvrage, je ne saurais pourtant lui éviter la lecture de sa très doloriste et pathétique conclusion, où l'on verra que l'auteur ne craint pas le ridicule, mais est-il seulement capable de comprendre combien il s'y expose ?
Je pense que chacun s'accordera avec moi pour admettre que la religion, fondement essentiel des sociétés pré-scientifiques bien organisées, a pour but d'enfermer le fidèle dans un carcan de lois dont l'objet est de le transformer en un membre utile de la communauté humaine, à l'instar de la fourmi dans la fourmilière ou de l'abeille dans la ruche.Ayant intériorisé les règles harmonieuses qui structurent sa société, le fidèle s'y conformera ou, le cas échéant, se proposera de lui même à la vindicte de ses pairs pour être remis dans le droit chemin.Comme l'a noté le grand Voltaire, ce me semble, le domestique chrétien ne vole pas ses maîtres.
Dans le texte qui va suivre, nous verrons combien Christophe du Saint-Esprit, ou plutôt Théophore du Paraclet, s'est éloigné de ce splendide idéal. Non content d'avoir oublié que l'essence de la foi est la crainte, il prêche et entend utiliser une liberté qui ne sonne rien moins que le glas d'une organisation bien structurée.Trop éloigné des princes de l'église qui auraient su le soumettre à la raison, il s'est égaré sur la voie dangereuse de l'imagination jusqu'à un affranchissement intérieur fort malvenu.

C'est ainsi que se dissimule souvent sous les dehors anodins, voire sympathiques de l'hurluberlu, un monstre capable de mettre à mal l'organisation sage d'un monde bien policé.

dimanche 19 avril 2020

DAFB - 2 (deuxième version)

Discours et anecdotes de la forêt des bambous plus hauts que les montagnes mais moins vastes que le ciel :
La Chèvre du « moine assassin »


Ce jour-là, je m'étais levé d'aussi bon matin que les autres jours mais les épais nuages qui couvraient la contrée donnaient à la forêt une ambiance crépusculaire, certes appropriée à une jeune aube mais peu propice à la joie.
La pluie, encore la pluie, toujours la pluie, épaisse et comme grasse, chaque goutte s'écrasant dans les flots de celles qui l'avaient précédée. Selon les villageois auprès de qui je mendiais ma nourriture en compagnie de mes collègues bouddhistes, elle allait encore durer quelques semaines avant de laisser place à un soleil de plomb et à une chaleur étouffante. Quelle bonheur en perspective !
Durant cette saison, les moines se rassemblaient plus souvent qu'à l'accoutumée pour entendre des sortes de sermons destinés à les aider à atteindre leur but et pour partager leurs expériences. Ils se réunissaient en groupes autour de maîtres qui avaient fort à faire, ce me semble.
Bien sûr, la division en sectes était plus forte que jamais et je pus noter des différences substantielles entre elles qui ne laissèrent pas de me surprendre, mais tel n'est pas mon propos : je laisse à des observateurs plus sagaces que je ne le suis le soin d'exposer les diverses vues de ces religieux. J'y reviendrai pourtant à l'occasion lorsque j'aborderai l'une de leurs activités favorites, la controverse. Ils n'ont sur ce plan rien à envier à nos théologiens.

Je me sentais très seul à cette période de ma vie. Loin des miens, loin de mon pays, loin de mon ordre, loin du but du voyage que l'on m'avait imposé, seul chrétien parmi des hommes qui n'attendaient le salut que d'eux-mêmes, mon cœur était lourd et inquiet. Perdu dans cette aube crépusculaire chaude, lourde et moite, je tentais en vain de calmer ma pensée pour la tourner vers le Seigneur : la porte étroite était comme fermée pour moi.
Soudain, au loin, j'entendis des cris de terreur d'origine caprine. Incapable de déterminer de quelle direction ils provenaient, je tournais sur place, les sens aux aguets. J'étais sûr d'avoir entendu une chèvre crier, et je ne pouvais pas me tromper. Je connais fort bien ces sales bêtes que j'adore car j'en ai gardé durant toute mon enfance.
Quand les cris reprirent, je relevai ma robe et m'élançais en quête de leur origine. Après bien des détours, je parvins à une clairière où se trouvaient quelques huttes. Devant l'une d'elles, je vis une scène qui me laissa d'abord interdit.
Un moine se tenait debout sous la pluie battante, les yeux exorbités sous ses sourcils absents, riant de toutes ses forces tout en retenant une chèvre d'une main ferme. Son visage était déformé par une animosité, une sauvagerie barbare que je n'avais jamais observées jusqu'alors, même sur les champs de bataille de l'Europe où elles atteignent pourtant des sommets.
Ma sidération fut complète quand je vis qu'il tenait dans sa main droite un long couteau de boucher qui semblait fait de bois.
Un cri poussé par la chèvre me fit revenir à moi-même et je courus vers le moine étrange. S'écartant quelque peu de l'animal, l'ermite observa ma progression. Quand je fus à deux pas de lui, il brandit son arme inutile.
C'est toi, le moine chrétien ?
Oui.
Tu manges de la viande ?
Oui.
Alors tue la chèvre.
Non.
Comme je restais là, immobile, il me tendit à nouveau le couteau de bois et déclara :  « Tue-la ou va-t-en. » Pourtant je ne bougeais pas d'un pouce, tremblant littéralement de colère. Il poussa alors un grand soupir fatigué et saisit l'animal par une corne, comme s'il se préparait à reprendre sa sinistre et inutile besogne là où je l'avais interrompue.
Ulcéré par son attitude, je levais la main, prêt à le frapper pour défendre la chèvre. Ce ne fut qu'en voyant son chapelet fendre l'air que je compris qu'il avait lâché son dérisoire instrument.
Tandis que ma peau éclatait et que mon sang giclait, j'entendis l'ermite s'écrier : « Idiot ! »

Plus tard, tandis que je serrais la chèvre dans mes bras fatigués, je songeais à l'insondable pitié que j'avais lue dans les yeux du moine.

DAFB - 1 (deuxième version)

Discours et anecdotes de la forêt des bambous plus hauts que les montagnes mais moins vastes que le ciel :
La Tombe


Tandis que j'allais, cheminant parmi les plantes entrecroisées qui envahissent bien vite les sentiers, j'entendis au loin un homme ahaner. Ravi de trouver enfin une compagnie humaine en ces contrées désertées par notre Seigneur (ainsi me disais-je à moi-même, homme de peu de foi que je suis) je dirigeais mes pas vers lui.
Je parvins à une vaste clairière inondée d'un soleil dont je n'aurais jamais pu rêver, même en la belle Italie. Là, je vis un moine de ce fameux Bouddha que j'allais bientôt apprendre à connaître mieux. Armé d'une pelle de bois grossière et usée, il tentait vainement de creuser la terre dure et sèche en ce lieu, suant et ahanant sous l'astre à son midi.
Il est d'usage en nos contrées de penser que tous les orientaux sont de petits hommes malingres et souffreteux mais je vous prie de croire que mon vis-à-vis d'alors ne correspondait guère à cette description. Le ciel m'en soit témoin, il aurait été à sa place dans le port de Gênes, un ballot sur le dos et jurant aussi fort qu'il le faisait à ce moment-là. Le rictus qu'il fit en me voyant n'étant guère engageant, je m’approchais à pas menus de mon sinistre collègue.
Selon l'usage local, je me prosternais trois fois devant lui avant de lui adresser la parole, ce que je fis en le saluant. A ma grande surprise, il se prosterna à son tour en s’enquérant de ma santé. Nous nous retrouvâmes ainsi à genoux, face à face et je ne pus m'empêcher de couper court aux politesses d'usage pour lui poser la question qui me taraudait : que faisait-il là, à creuser la terre en plein midi?
« - Ça ne se voit pas? Je cherche ma tombe.
- Pardon?
- Et oui, je cherche ma tombe. Il faut bien que je trouve mon corps pour pouvoir l'enterrer, non? »
Cher lecteur, je dis sans honte que cette étrange déclaration me laissa stupide. Je regardais le moine, les trous dans la terre, la clairière et le soleil au dessus de nous avant de décider que je ne rêvais pas. Enfin je contemplais le sol puis relevais les yeux vers lui.
« - Mais enfin, vous êtes vivant! Comment pourriez-vous avoir une tombe? »
Le visage du moine, qui était devenu aussi amène que faire se pouvait, se chargea d'un rictus rageur et vindicatif.
Il leva son chapelet puis l'abaissa en un geste que j'appris vite à connaître.
Tandis que ma peau éclatait et que mon sang giclait, je l'entendis crier : "Idiot!"

DAFB - Liminaire (seconde version)

Discours et anecdotes de la forêt des bambous plus hauts que les montagnes mais moins vastes que le ciel



Tel est le titre de l’œuvre posthume du soi-disant frère Christophe du Saint-Esprit qui, si on l'en croit, a été moine, peut-être capucin, parti on ne sait trop comment vers les plus inconnues contrées de l'Asie, mort on ne sait trop où, à on ne sait trop quelle date. Pour héritage, il nous laissa 1752 feuilles de bananier couvertes de son écriture fine et élégante. Avant que d'entreprendre le tracé d'une histoire très mal connue, je tiens à vous proposer quelques-uns des écrits que le pseudo Christophe du Saint-Esprit nous a légués : ainsi, vous saurez de quoi il sera question dans cet essai.
Je tiens tout de même à avertir le lecteur qu'il ne doit pas accorder trop de crédit à ce qu'il lit : ce texte est bien loin d'être un document sur un missionnaire ou la vie des moines bouddhistes en Asie au 17ème siècle. Nous avons ici affaire à ce que j'appellerais volontiers un faux authentique, si vous voulez bien me passer l’expression. Comme l'ont montré des chercheurs, le manuscrit n'est pas antidaté ; il a également bien été retrouvé à Bangkok en 1957 dans un coffre de marin scellé, et cela par un pasteur américain au dessus de tout soupçon. En revanche, il est entièrement faux, du début à la fin, parce que son contenu est totalement imaginaire et parce qu'il a été rédigé par un personnage bien peu recommandable.
Nul doute, en effet, que c'est bien Théophore du Paraclet qui se cache sous le pseudonyme « Christophe du Saint-Esprit ». Nul doute, également, que les lieux qu'il décrit n'ont jamais existé ailleurs que dans son imagination. Nul doute, enfin, que les moines bouddhistes inventés par lui ne sont rien d'autre qu'une vague approximation créée à partir de sources mal connues. A-t-il volé les archives de quelque ordre missionnaire ? Cela n'a rien d'impossible, au regard de la biographie supposée du triste sire qu'était Théodore du Paraclet, dont on ne connaît même pas l'identité réelle.
Il est d'ailleurs tout à fait possible qu'il se soit bien nommé Christophe du Saint-Esprit : on peut tout imaginer à propos d'un fourbe aussi patenté, qui se présentait comme un « frère de l'ordre des Danseurs de Saint Guy », fraternité probablement  aussi imaginaire que l'est sans doute la dignité ecclésiastique de son inventeur.
Est-il jamais allé en Asie ? J'avoue l'ignorer. Certains indices laissent toutefois penser qu'il a eu accès à une expérience de première main d'un climat tropical et de certains phénomènes naturels rares dans nos contrées tempérées.
Sait-il quelque chose du bouddhisme ? Sans doute, mais guère plus qu'un lecteur curieux, même si une telle science, courante à notre époque, était plus que rare à la sienne, ce qui me semble justifier l'hypothèse selon laquelle l'auteur aurait dérobé des documents à des missionnaires.
A-t-il jamais rencontré un religieux bouddhiste ? Encore une fois, il est impossible de trancher. Il sait certaines choses d'eux, j'en conviens, mais quoi, au juste ? On voit défiler dans son ouvrage des êtres plus incongrus les uns que les autres, qui semblent arrachés à des traditions distantes dans le temps et dans l'espace, perdus dans des anecdotes volées ça et là dans des ouvrages jamais nommés.
Fut-il seulement conscient d'écrire un parfait non-sens ? J'en doute, puisque dans son prologue, il invoque une bien pauvre défense : selon lui, il aurait voulu « dépeindre des mouvements de l'âme bien plus que des êtres et des choses » en suivant en cela de mystérieuses « traditions poétiques toujours bien vivantes dans l'Orient lointain ».
Bref, il faut prendre cet ouvrage avec beaucoup de prudence et l'abandonner sans hésitation. Quant à son auteur, il convient de ne pas oublier qu'il fut en son temps l'objet d'une réprobation sans le moindre doute méritée.
Hypocrite ou flagorneur ? Stupide ou imbécile ? Affabulateur ou mythomane ? Préservant ma réserve et ma neutralité de chercheur, je laisse le soin au lecteur de trancher.


lundi 13 avril 2020

Ce que disent les fleurs


Mon aventure, si aventure il y a, a commencé par une lecture suivie d'une idée suivie d'une intuition suivie d'une pensée suivie d'une réflexion suivie d'une planification suivie d'une détermination précédant une évitable action suivie, je l'espère du moins, d'une élucidation et d'une conclusion.
Pour ce qui est de ma lecture, je m'en souviens comme si elle avait eu lieu hier, c'est à dire à peine. Pour moi, tout se passe toujours hier, ou bien la veille quand je me souviens qu'hier je me suis souvenu d'un autre hier. Cette accumulation de veilles a des effets désastreux sur ma mémoire, du moins je le crois.
C'était un roman policier, il me semble. Ecrit dans le nord de l'Europe, sans doute. Je suis souvent d'humeur un peu glauque, et les récits policiers écrits dans le nord de l'Europe conviennent relativement bien aux gens d'humeur un peu glauque. En général, du moins.
Je m'égare un peu, je crois. Bref, il contenait une phrase que j'ai notée dans l'instant ou par la suite, un peu avant d'égarer le roman, le souvenir du roman et les traces du roman dans ma mémoire. Le roman doit bien être quelque part, lui. C'est un objet, après tout, un vrai objet qui existe dans le vrai monde, celui d'aujourd'hui.
La phrase, donc : 
« Est-ce qu'on observe les orchidées la nuit, en cachette ? »
Dans la langue d'origine, cela sonne sans doute différemment pour faire résonner d'autres sons dans l'esprit du lecteur qui raisonnera alors de manière bien différente que je ne l'ai fait. Le problème est que je ne la connais pas. J'ai donc dû lire une traduction, solution peu satisfaisante surtout pour un texte aussi crucial, sans doute, mais que pouvais-je y faire ?
Juste à côté, j'ai noté , entre parenthèses, « (Wallander, à propos de jumelles de nuit) », ce que je préfère reproduire tel quel afin de m'en souvenir quand j'aurai tout oublié. Maintenant que j'y repense, cette parenthèse aurait dû susciter des questions et non les actions que je me prépare à entreprendre :
  • Qu'est-ce qu'un wallander ou qui est Wallander ?
  • S'agit-il de jumelles de vision nocturne ou bien de jumelles rencontrées la nuit, jumelles que l'on aurait observées la nuit, peut-être même avec des jumelles de vision nocturne ?
Je pourrais aussi disséquer la question, la questionner grâce à d'autres questions, mais ne serait-ce pas aller un peu loin, je me le demande ? Après tout, je peux toujours imaginer qu'à l'époque, je savais de quoi il était question tandis que j'écrivais cela.
Du moins, je le crois, si c'est bien moi qui ai écrit ces lignes. Ne pourrait-on pas aussi imaginer l'intervention d'une tierce personne aux plans machiavéliques, ayant pour but la prise de contrôle ou la destruction de notre monde, voire de l'univers ?
Mais je m'égare une fois de plus, du moins je crois. Etant donné ce que je me prépare à faire, j'ai dû opter pour une solution à la fois plus simple et plus complexe à l'époque, alors que je savais encore de quoi il était question au juste. C'est du moins ce que me laisse supposer la phrase suivante, notée ailleurs : « Et pourquoi pas ? »
Je me demande à présent si cette question-ci se rapporte bien à cette question-là. J'ai dû penser à un moment que tel était bien le cas, puisque j'ai consacré de nombreuses années à préparer l'étrange mission sans doute auto-attribuée que je vais accomplir ce soir.
Je m'aperçois soudain que je vais bientôt devoir partir alors que j'ai à peine effleuré le début du début de mon étonnante histoire, et cela au risque de décevoir l'éventuel lecteur de ces lignes ! Même si ce n'est que moi, cela reste décevant.
Si tu as bien suivi ce que j'ai dit, moi (ou bien quelqu'un d'autre, mais qui ? Je me le demande. Qui pourrait bien avoir l'idée de prendre ces feuilles pour lire ces lignes ? Quelqu'un qui aurait trouvé mon sac, sans doute. Mais qui, comment et pourquoi ?) Mais je crois que je m'égare à nouveau.
Donc. Si tu as bien suivi ce que j'ai dit, toi qui es sans doute moi - je vais tenir - tu as sans doute déjà compris qu'il me fallait trouver un moyen d'observer les orchidées la nuit en cachette. Je n'ai plus le temps de te raconter pourquoi il me fallait absolument observer les orchidées la nuit en cachette, mais tu peux t'en consoler en te disant que de toute façon, je ne m'en souviens plus, ce qui est d'ailleurs le cas. Je vois que tu as pris le coup, et cela fait plaisir d'être lu avec autant d'attention, surtout pour un scripteur besogneux comme moi.
Mais je m'égare encore - je vais tenir - alors que j'ai tant à dire même si je n'en ai plus le temps. Je parcours mes carnets et je vois que je n'ai plus le temps de te parler du yogi et de la neldjorma, ni de mon maître de nuit, ni de mon maître de silence, ni de celui qui m'a répondu que non, il ne fallait pas.
Au lieu de tout cela, afin de compenser, si j'ose dire, je crois que je vais te parler de la pâquerette. Je vais recopier ici ce que j'ai noté dans mon carnet à propos de ma rencontre avec cette fleur. Elle, du moins, existe vraiment car elle est dans le présent, juste là, maintenant.
Je vais mettre des guillemets. Tu verras ainsi que je ne te raconte pas n'importe quoi, en brodant au fil de la plume. Ainsi, je suis sûr de tenir. A la fin, je fermerai les guillemets puis je te dirai au revoir – je l'espère, du moins.
Les guillemets, donc :

« Pour pouvoir me taire, je voulus créer une fleur dans mon cœur afin d'avoir quelqu'un à qui parler et, plus tard, à écouter. J'allumais l'ordinateur (et oui, même eux en ont!) pour chercher l'image d'une orchidée.
J'en trouvais des milliers en ligne, prises dans la toile, maintenues immobiles et muettes sous les regards curieux. Je finis par choisir la plus splendide d'entre elles, à mes yeux du moins.
Concentré sur mon cœur, j'y évoquais son image et vis y apparaître une pâquerette. Un peu interloqué, j'en fis le tour bien des fois. C'était bel et bien un pâquerette. Oh, elle était bien jolie, cette pâquerette ! Mais enfin, c'était une pâquerette.
Mon regard d'abord surpris puis sidéré puis confus puis amer la fit frémir, puis trembler, puis se recroqueviller pour finir par se racornir.
Mais enfin, quel monstre étais-je pour faire cela à une pauvre pâquerette ? Ma peine fit naître mes larmes qui tombèrent sur la fleur pour l'arroser. Quand je la vis se redresser, je pleurais davantage, mais de joie cette fois. »

Voilà. Comme j'ai trop de choses à ajouter, je préfère me taire. Je suis prêt à présent.
Au revoir. A bientôt. J'espère.


Note de l'éditeur : L'auteur des lignes qui précèdent n'est jamais revenu de son étrange, mystérieuse et terrible expédition. Quant à moi, je n'ai rien à dire à propos de ce que disent les fleurs. Du moins, je le crois.

dimanche 12 avril 2020

111, Avenue du Ciel (deuxième version)


Le genre humain au Golgotha

Drame bref

La scène est au sommet d'une colline aride ; l'humanité est sur ses pentes, indifférenciée. Des vendeurs de pop-corn circulent dans la foule. Au sommet de la colline, Monsieur Loyal. Il porte un costume sombre très chic, une oreillette et un nez rouge.
Ça et là dans la foule, des gens s'écartent parfois. On ne voit rien mais on entend des sanglots. Lorsqu'ils sont forts, la foule s'écarte suffisamment pour que l'on distingue des silhouettes enlacées, secouées par les larmes.
Les enregistrements débutent et cessent sur un signe de M. Loyal.


M. Loyal:      Voyez-Le sur sa croix, regardez ce spectacle!


L’humanité: Mais enfin quel ennui! ne sait-Il pas complaire?
                       Il fait bien peu d’efforts, et pour mieux nous distraire,
                       Pourrait-Il accomplir un tout petit miracle?
                       Descendez-Le de là, nous corserons la chose,
                       Et en bien peu de temps, Il changera de pose!
(rires enregistrés)


Tous:             Clouons, clouons en chœur, clouons frères et sœurs,
                       Enfonçons le métal en la chair du Sauveur!


M. Loyal:      Mais enfin c'est pour vous qu'Il se meurt aujourd'hui!


L’humanité: Meurt pour nous dites-vous?! où est le bénéfice?
                        Combien peut rapporter un si pauvre supplice?
                        Et qui donc payerait pour Le voir mourir Lui?
                        Voyez les miséreux que sont tous ses disciples,
                        Le dernier amuseur ferait au moins le triple!
(rires enregistrés)


Tous:             Clouons, clouons en chœur, clouons frères et sœurs,
                       Enfonçons le métal en la chair du Sauveur!


M. Loyal:      Respectez leur douleur, car ils L'aiment vraiment.


L’humanité: Où est l'émotion dans toutes ces grimaces?
                       Regardez ces ringards à la bien triste face!
                       Donnez-nous des acteurs qui jouent correctement!
                       Décidément tout manque à cette production,
                       Et tant que vous y êtes, ajoutez de l'action.
(cris et sifflements enregistrés)


Tous:             Clouons, clouons en chœur, clouons frères et sœurs,
                        Enfonçons le métal en la chair du Sauveur!


M. Loyal:      A la Sainte Famille, épargnez vos outrages.


L’humanité:  Des larmes de sa mère, égaillons nos délices,
                        De son corps torturé, accroissons le supplice,
                        Qu'ils trompent notre ennui s'ils veulent nos suffrages!
                        Quant à son Père enfin, qu’Il comparaisse là,
                        Devant l’applaudimètre et devant la ola!
(cris, rires et lazzis enregistrés)


* Note: Des rires gras s’élèvent dès que le mot « père » est prononcé; M. Loyal arbore alors une mine consternée de circonstance et esquisse quelques gestes d’apaisement tout en étouffant ses propres gloussements et en murmurant que cela n’est pas drôle.


Tous:              Clouons, clouons en chœur, clouons frères et sœurs,
                        Enfonçons le métal en la chair du Sauveur!


M. Loyal:       Peut-être un dernier mot, à l’heure du bilan?


L’humanité:  Qu’il est doux de jouir quand souffre l’innocent!
                        Qu’il est bon le plaisir tiré de son tourment!
                        Aucune lassitude en près de deux mille ans!
                        Qu'Il nous fasse un come-back un peu plus reluisant,
                        Avec son et lumière et sur écran géant!
(cris et sifflements enregistrés)


Tous:             Clouons, clouons en chœur, clouons frères et sœurs,
                       Enfonçons le métal en la chair du Sauveur!

(rideau)

Tandis que le rideau se baisse, on entend un brouhaha, des rires et quelques éclats de voix très confus.


Note : Ce texte est une reprise légèrement modifiée du premier paru sur ce blog, avec un mise en page que j'espère plus claire et agréable.