dimanche 19 avril 2020

DAFB - Liminaire (seconde version)

Discours et anecdotes de la forêt des bambous plus hauts que les montagnes mais moins vastes que le ciel



Tel est le titre de l’œuvre posthume du soi-disant frère Christophe du Saint-Esprit qui, si on l'en croit, a été moine, peut-être capucin, parti on ne sait trop comment vers les plus inconnues contrées de l'Asie, mort on ne sait trop où, à on ne sait trop quelle date. Pour héritage, il nous laissa 1752 feuilles de bananier couvertes de son écriture fine et élégante. Avant que d'entreprendre le tracé d'une histoire très mal connue, je tiens à vous proposer quelques-uns des écrits que le pseudo Christophe du Saint-Esprit nous a légués : ainsi, vous saurez de quoi il sera question dans cet essai.
Je tiens tout de même à avertir le lecteur qu'il ne doit pas accorder trop de crédit à ce qu'il lit : ce texte est bien loin d'être un document sur un missionnaire ou la vie des moines bouddhistes en Asie au 17ème siècle. Nous avons ici affaire à ce que j'appellerais volontiers un faux authentique, si vous voulez bien me passer l’expression. Comme l'ont montré des chercheurs, le manuscrit n'est pas antidaté ; il a également bien été retrouvé à Bangkok en 1957 dans un coffre de marin scellé, et cela par un pasteur américain au dessus de tout soupçon. En revanche, il est entièrement faux, du début à la fin, parce que son contenu est totalement imaginaire et parce qu'il a été rédigé par un personnage bien peu recommandable.
Nul doute, en effet, que c'est bien Théophore du Paraclet qui se cache sous le pseudonyme « Christophe du Saint-Esprit ». Nul doute, également, que les lieux qu'il décrit n'ont jamais existé ailleurs que dans son imagination. Nul doute, enfin, que les moines bouddhistes inventés par lui ne sont rien d'autre qu'une vague approximation créée à partir de sources mal connues. A-t-il volé les archives de quelque ordre missionnaire ? Cela n'a rien d'impossible, au regard de la biographie supposée du triste sire qu'était Théodore du Paraclet, dont on ne connaît même pas l'identité réelle.
Il est d'ailleurs tout à fait possible qu'il se soit bien nommé Christophe du Saint-Esprit : on peut tout imaginer à propos d'un fourbe aussi patenté, qui se présentait comme un « frère de l'ordre des Danseurs de Saint Guy », fraternité probablement  aussi imaginaire que l'est sans doute la dignité ecclésiastique de son inventeur.
Est-il jamais allé en Asie ? J'avoue l'ignorer. Certains indices laissent toutefois penser qu'il a eu accès à une expérience de première main d'un climat tropical et de certains phénomènes naturels rares dans nos contrées tempérées.
Sait-il quelque chose du bouddhisme ? Sans doute, mais guère plus qu'un lecteur curieux, même si une telle science, courante à notre époque, était plus que rare à la sienne, ce qui me semble justifier l'hypothèse selon laquelle l'auteur aurait dérobé des documents à des missionnaires.
A-t-il jamais rencontré un religieux bouddhiste ? Encore une fois, il est impossible de trancher. Il sait certaines choses d'eux, j'en conviens, mais quoi, au juste ? On voit défiler dans son ouvrage des êtres plus incongrus les uns que les autres, qui semblent arrachés à des traditions distantes dans le temps et dans l'espace, perdus dans des anecdotes volées ça et là dans des ouvrages jamais nommés.
Fut-il seulement conscient d'écrire un parfait non-sens ? J'en doute, puisque dans son prologue, il invoque une bien pauvre défense : selon lui, il aurait voulu « dépeindre des mouvements de l'âme bien plus que des êtres et des choses » en suivant en cela de mystérieuses « traditions poétiques toujours bien vivantes dans l'Orient lointain ».
Bref, il faut prendre cet ouvrage avec beaucoup de prudence et l'abandonner sans hésitation. Quant à son auteur, il convient de ne pas oublier qu'il fut en son temps l'objet d'une réprobation sans le moindre doute méritée.
Hypocrite ou flagorneur ? Stupide ou imbécile ? Affabulateur ou mythomane ? Préservant ma réserve et ma neutralité de chercheur, je laisse le soin au lecteur de trancher.


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