Discours
et anecdotes de la forêt des bambous plus hauts que les montagnes
mais moins vastes que le ciel
Tel
est le titre de l’œuvre posthume du soi-disant frère Christophe
du Saint-Esprit qui, si on l'en croit, a été moine, peut-être
capucin, parti on ne sait trop comment vers les plus inconnues
contrées de l'Asie, mort on ne sait trop où, à on ne sait trop
quelle date. Pour héritage, il nous laissa 1752 feuilles de bananier
couvertes de son écriture fine et élégante. Avant que
d'entreprendre le tracé d'une histoire très mal connue, je tiens à
vous proposer quelques-uns des écrits que le pseudo Christophe du
Saint-Esprit nous a légués : ainsi, vous saurez de quoi il sera
question dans cet essai.
Je
tiens tout de même à avertir le lecteur qu'il ne doit pas accorder
trop de crédit à ce qu'il lit : ce texte est bien loin d'être
un document sur un missionnaire ou la vie des moines bouddhistes en
Asie au 17ème siècle. Nous avons ici affaire à ce que
j'appellerais volontiers un faux authentique, si vous voulez bien me
passer l’expression. Comme l'ont montré des chercheurs, le
manuscrit n'est pas antidaté ; il a également bien été
retrouvé à Bangkok en 1957 dans un coffre de marin scellé, et cela
par un pasteur américain au dessus de tout soupçon. En revanche, il
est entièrement faux, du début à la fin, parce que son contenu est
totalement imaginaire et parce qu'il a été rédigé par un
personnage bien peu recommandable.
Nul
doute, en effet, que c'est bien Théophore du Paraclet qui se cache
sous le pseudonyme « Christophe du Saint-Esprit ». Nul
doute, également, que les lieux qu'il décrit n'ont jamais existé
ailleurs que dans son imagination. Nul doute, enfin, que les moines
bouddhistes inventés par lui ne sont rien d'autre qu'une vague
approximation créée à partir de sources mal connues. A-t-il volé
les archives de quelque ordre missionnaire ? Cela n'a rien
d'impossible, au regard de la biographie supposée du triste sire
qu'était Théodore du Paraclet, dont on ne connaît même pas
l'identité réelle.
Il
est d'ailleurs tout à fait possible qu'il se soit bien nommé
Christophe du Saint-Esprit : on peut tout imaginer à propos
d'un fourbe aussi patenté, qui se présentait comme un « frère
de l'ordre des Danseurs de Saint Guy », fraternité probablement aussi
imaginaire que l'est sans doute la dignité ecclésiastique de son inventeur.
Est-il
jamais allé en Asie ? J'avoue l'ignorer. Certains indices
laissent toutefois penser qu'il a eu accès à une expérience de
première main d'un climat tropical et de certains phénomènes
naturels rares dans nos contrées tempérées.
Sait-il
quelque chose du bouddhisme ? Sans doute, mais guère plus qu'un
lecteur curieux, même si une telle science, courante à notre
époque, était plus que rare à la sienne, ce qui me semble
justifier l'hypothèse selon laquelle l'auteur aurait dérobé des
documents à des missionnaires.
A-t-il
jamais rencontré un religieux bouddhiste ? Encore une fois, il
est impossible de trancher. Il sait certaines choses d'eux, j'en
conviens, mais quoi, au juste ? On voit défiler dans son
ouvrage des êtres plus incongrus les uns que les autres, qui
semblent arrachés à des traditions distantes dans le temps et dans
l'espace, perdus dans des anecdotes volées ça et là dans des
ouvrages jamais nommés.
Fut-il
seulement conscient d'écrire un parfait non-sens ? J'en doute,
puisque dans son prologue, il invoque une bien pauvre défense :
selon lui, il aurait voulu « dépeindre des mouvements de l'âme
bien plus que des êtres et des choses » en suivant en cela de
mystérieuses « traditions poétiques toujours bien vivantes
dans l'Orient lointain ».
Bref,
il faut prendre cet ouvrage avec beaucoup de prudence et l'abandonner
sans hésitation. Quant à son auteur, il convient de ne pas oublier
qu'il fut en son temps l'objet d'une réprobation sans le moindre
doute méritée.
Hypocrite
ou flagorneur ? Stupide ou imbécile ? Affabulateur ou
mythomane ? Préservant ma réserve et ma neutralité de
chercheur, je laisse le soin au lecteur de trancher.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire