mercredi 21 septembre 2022

DAFB 9 - Randonnées randomisées

 Discours et anecdotes de la forêt des bambous plus hauts que les montagnes mais moins vastes que le ciel


Randonnées randomisées



        Amis lecteurs, j'ai pour vous une grande nouvelle. Au cas où vous n'auriez pas suivi les actualités judiciaires, sachez que notre cher contributeur depuis longtemps disparu tragiquement dans les Pyrénées, Guillaume Chervais, est bel et bien vivant ! Ceci, vous avez pu l'apprendre en allumant vos postes de télévision ou en consultant n'importe quelle page internet consacrée à l'actualité mais ce que vous ne savez pas, en revanche, c'est que nous avons été les premiers à en être informés.
        En effet, il y a à présent trois semaines, nous avons reçu de lui un bien étrange article authentifié par ses mots de passe et des détails qui semblaient prouver qu'il en était vraiment l'auteur. Notre premier réflexe a bien entendu été de contacter la police qui, après investigation, a renforcé notre conviction que le message n'émanait de nul autre que de Guillaume Chervais lui-même. Même si nous ne savons pas exactement où il se trouve en ce moment, nous savons pourtant qu'il est demeuré dans les Pyrénées où il semble vivre à l'écart de la civilisation. Gageons tout de même que nous aurons de ses nouvelles d'ici peu puisque les forces de l'ordre ont décidé de lui attribuer quelques dizaines de crimes et délits commis dans les environs qui sont restés inexpliqués jusque là.
        En attendant ces retrouvailles tant attendues, nous avons décidé de publier sa bizarre contribution à nos colonnes, nous disant qu'ainsi ses fidèles lecteurs (car il en avait, comme en témoignent les messages de condoléances reçus par sa famille) pourraient retrouver l'auteur de la monumentale et définitive condamnation des œuvres de Christophe du Saint Esprit ou Théophore du Paraclet, comme il vous plaira de nommer ce sinistre personnage.
        Mais laissons là ces considérations pour donner la parole à Guillaume Chervais :



        Parfois, à certaines heures de la nuit, alors qu'il est trop tôt pour se réveiller et trop tard pour veiller, vous émergez d'un rêve si écœurant, rare et atroce qu'il ne peut venir de nulle part dans votre vie, de nulle part dans votre esprit car non, CELA est impossible.
        Sa laideur est telle qu 'elle engendre en vous un dégoût si puissant que vous ne voulez même pas y penser car non, CELA est impossible.
        Vous voudriez vous rendormir, oublier ce goût écœurant dans votre bouche, oublier la peur atroce et laide qui vrille votre ventre mais non, CELA est impossible.
        Vous voudriez croire que ce n'est rien, que le rêve n'est que la conséquence d’événements du jour qui ont échappé à votre conscient ou un caprice de l'esprit ou que sais-je encore mais non, CELA est impossible.
        Alors vous vous dites « Non ! Tu es fou, de telles choses ne sont pas, nulle part, jamais, ce n'est pas ainsi qu'est la vie ou qu'est le monde ! » et vous essayez désespérément de vous croire mais non, CELA est impossible.

        Alors vous saisissez votre plume, empli d'une peur au goût de vomi et vous n'écrivez surtout pas votre rêve car non, cela vous est impossible. Avec un frisson d'angoisse, vous écrivez quelque chose dont vous pourrez rire demain et vous vous surveillez en le faisant, de peur de comprendre en lisant :
        « Un jour de plus en prison. Je vous en prie, univers atone, je vous en supplie, dieu absent, ne me laissez pas savoir qui je suis vraiment. Puissé-je me rendormir, je vous en prie, et oublier mes souvenirs, je vous en supplie. »

        J'ai le ventre tendu de dégoût et de terreur abjecte.

        Qui est ce type ? Pourquoi veux-je essayer de le consoler en lui montrant la photo d'un chien égorgé ? Comment sais-je qu'il va alors pleurer dans mes bras ? Pourquoi vais-je alors le serrer contre moi et lui briser la nuque afin qu'il ne voie pas, ne sache pas, ne se rende pas compte mais de quoi ? Et puis m'écrouler en pleurant, désolé pour moi-même que personne ne puisse me rendre le même service ?

        Pourquoi ne veux-je pas me dire la vérité ? Pourquoi veux-je tant trouver une explication scientifique ou magique ou les deux, enfin une explication quelle qu'elle soit, une explication qui renvoie mes rêves dormir parmi les contes ?
        Je ne vais rien pouvoir faire de ces pages. Poétiser serait mentir. Faire un récit serait mentir. Dire que j'y crois serait me ridiculiser.
        Pourtant, il y a peut-être quelqu'un qui me lira et qui saura de quoi je parle. Il sait ce que c'est que d'avoir dans la bouche ce goût écœurant qui n'existe pas. Il connaît ces frissons d'abjecte terreur, de dégoût indicible, de stupeur atroce qui remuent les entrailles.
        Lui non plus ne peut ni parler, ni se taire. Comme moi, il lui arrive peut-être de pleurer en y pensant, comme en cet instant où je sens les larmes monter quand je l'imagine.
        Tu es ma sœur, tu es mon frère, je te dois bien ces mots alors je les écris.
        Toi qui hausses les épaules parce que tu n'y comprends rien, c'est très bien. Je sens un tel soulagement quand je pense que peut-être, dans quelques instants, je ne saurai plus moi-même de quoi je parle en ce moment.

        Que de répétitions ! Quel style minable ? Et puis, quel est ton propos ? Pourquoi le magazine publierait-il un tel torchon ? Allons, allons, tu ne peux pas envoyer cette merde au directeur. Il faut que tu l'enveloppes pour la cacher, que tu la rendes jolie, poétique, vague, floue et surtout intéressante pour quelqu'un d'autre que toi !
        Voilà ce que me dit mon esprit en ce moment, mais il ne la ramène pas trop quand même car il a peur que je me recouche et que CELA revienne.
        Je ne vois aucune façon de dire les choses autrement qui ne soit pas un mensonge. J'ai aussi la conviction que me taire ne serait pas bien. Alors je parle et, pour une fois dans ma vie, je dis ce que j'ai à dire. J'espère de tout cœur que mes mots n'ont pour vous aucun sens.


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samedi 10 septembre 2022

8, Avenue du Ciel


C'est quand dimanche ?


Ton regard épuisé s'attarde sur tes mains
Couvertes de sueur, tremblantes de fatigue ;
Rien ne sert de prévoir le travail de demain :
C'est l'un de ces moments où les choses se liguent.
Il est temps à présent de s'asseoir sans rien faire
Pour contempler les cieux où brille la lumière.

Tes ongles ébréchés fatigués de gratter
T'élancent sourdement, tétanisant tes bras
Qui ont bien trop lutté pour tenter d'apprêter
La terre craquelée où rien ne poussera.
Il est temps à présent de s'asseoir sans rien faire
Pour contempler les cieux où brille la lumière ;

Mais ton regard encore aperçoit une pierre
Qui semble te narguer dans sa gangue de terre ;
Tu souris tendrement à la caillasse altière,
Pauvre petit clairon t'appelant à ta guerre.
Un jour il sera temps de s'asseoir sans rien faire
Pour vivre dans les cieux où brille la lumière
.


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