samedi 30 décembre 2023

L'air du temps (Décembre 2023)


Un oiseau s’est baigné
dedans le bénitier.
Ce n’était qu’un pigeon
au plumage mignon.
Il s’est désaltéré
et puis il a croassé !
Juste après il a chu
et de noir s’est vêtu.
Le pape l’a saisi
dans un pli de surplis
et puis il l’a plumé
avant de le manger
mais un prêtre vaillant
s’est levé en criant :
« Vade retro Satan,
remets-nous cet enfant ! »
et le pape a vomi
un petit pigeon gris.

Moralité :

Il faut de la prudence
en ces temps de démence
où seuls les plus petits
veillent sur les petits.
Les princes et les rois
ont le même régime :
leur mets de choix, c’est toi,
avec ton âme en prime.

dimanche 24 décembre 2023

Le tombeau des vivants


J’allume une chandelle et la pose sous l’ombre
D’un très vieux crucifix émergeant des décombres ;
Cette seule clarté change la nuit en havre,
Comme un lieu de repos au milieu des cadavres.
Partout gisent des gens saisis dans leurs routines,
Ceux-ci dans le salon, ceux-là dans la cuisine.

Ceux que vous voyez là s’en allaient au travail,
Ces autres revenaient de caravansérails.
Ils viennent de trouver le temps de vivre enfin
Car la mort est venue mettre fin à leurs faims.
Ne remarquez-vous pas qu’ils ont l’air plus vivants
Que lorsqu’ils se vautraient, chacun sur son divan ?

Prenez-donc ces deux-là : comme on dirait qu’ils s’aiment !
Plus de chamailleries, juste un enlacement,
Un geste qui dit tout après un long tourment…
Les mots sont des poisons que leurs caprices sèment,
Souillant toute leur vie pour en faire un enfer
Mais c’est au paradis que la mort les défère.

En les voyant ainsi, je crois que je comprends,
Et puis à mon réveil le cauchemar reprend.
Ô Dieu, que j’aimerais chanter votre naissance
Plutôt que mon errance en tous ces lieux d’aisance
Que l’on nomme les jours mais qui ne sont que nuits
Où la vie est absente et dont l’amour s’enfuit.

C’est Noël !
Cessez de dormir !
C’est Noël !
Cessez de courir !
C’est Noël !
Laissez la vie fleurir.
C'est Noël !
Voyez la mort mourir.

mardi 28 novembre 2023

De l'objectivité

 

Pour qu'un jugement soit réputé objectif, il doit obéir à quelques règles qu'il convient de connaître avant d'ouvrir la bouche :

  • En premier lieu, il doit avoir l'air rationnel. Ceux qui se targuent d'objectivité aiment beaucoup donner les apparences de la logique à leurs raisonnements.

  • Ensuite, il doit être fondé sur ce que la majorité des auditeurs estime être des données et des faits réels ; en cela, quoi de mieux qu'une avalanche de chiffres et de statistiques ?

  • Il doit aussi avoir l'air contre-intuitif ou opposé à la doxa. Rien ne plaît tant que la nouveauté un peu choquante, sans excès toutefois.

  • Enfin, il doit faciliter le mal, afin que chaque participant puisse par la suite, lors de l'accomplissement de quelque monstruosité, s'en souvenir et dire « On ne fait pas d'omelette sans casser des œufs. » ou « Il faut savoir ce que l'on veut. » ou encore « C'est un moindre mal. ».


En effet, le bien s'intéresse peu à l'objectivité ; lui s'investit dans la réalité et cette dernière n'a le plus souvent que des rapports très distants avec la raison : l'être humain, au plein sens du terme, sait que tout ce qui le concerne est imprégné de croyances et de passions. En revanche, une sous-couche de mathématiques et quelques couches de philosophie ont souvent permis au mal de cacher ses crimes sous les tons de la logique et le vernis de la science.


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mardi 31 octobre 2023

Qu'as-tu fait de toi ?

 

Prière nationale après la défaite. Du maître de chant. Sur « Un lys est le précepte ». A mi-voix. De David. Pour apprendre …

Introduction du Psaume 60 – Bible de Jérusalem – CERF – 2000



Un lys est le précepte, et aussi la leçon
Car de lys, il n'est point qui soit des plus gaillards
Après avoir plié sous les pieds des pillards
Mais il subsiste encore en tous ses enfançons.

Ployant sous la poussière, il est resté sans tache ;
Lorsque s'en viendra Dieu, il pourra sans rougir
Demander la justice au premier des martyrs :
Survivre n'est parfois qu'un courage de lâche.

Mais toi, à ces pillards, tu leur ouvres ta tente
Et tu t'offres à eux en remuant tes fesses,
Et tu gémis de joie sous la puante presse,
Appelant de tes vœux des foules plus violentes.

Tu arpentes les rues en vantant tes talents,
Tu te vois en putain écarlate et cruelle
Quand tu n'es qu'une gouape avide et sensuelle
Dont se rient les clients tout en se rajustant.

jeudi 19 octobre 2023

323, Avenue du Ciel


Lorsque j’étais enfant, j’accompagnais ma mère
Quand elle allait prier pour le salut de gens
Qui ne voyaient en nous que de pieux indigents,
Mais le monde éloignait l’Église et ses mystères.

En regardant, là-haut, scintiller les étoiles,
En voyant naître à l’est l’astre resplendissant,
Une idée traversa mon être adolescent :
Le monde est une femme et elle porte un voile.

Sous le voile une humaine, et me voilà adulte
A chercher dans mon souffle un guide bien plus sûr
Qui saurait m’éviter quand le fruit serait mûr
Un retour en ces lieux abrutis de tumulte ;

Et puis l’écroulement dans l’abysse du soir,
Et puis la grande nuit où ne naît pas d’étoile,
Et le froid de l’abîme habitant votre moelle
Et votre esprit meurtri réfugié dans le noir…

Et alors la clarté dans votre sécheresse
Qui devient un sanglot devant la main tendue
Qu’un nom a appelé dans votre âme éperdue :
Peu à peu se défait le lien qui vous oppresse.


Alors que je quittais les ombres de la fosse,
Un serviteur me dit : « -Allez ! Viens à la noce !
-Je n’ai pas de costume à mettre sur ma peau ;
Je ne peux y aller tout couvert d’oripeaux.
-J’en ai vus dans le coin, parmi les tas d’ordures :
Trouve-t-en donc vite un, tu auras fière allure !
Les premiers invités les ont abandonnés
Pour aller partouzer ou bien biberonner…
Le maître qui m’envoie n’est pas des plus commodes ;
Prends une décision, ma patience s’érode.
-Désolé, mon ami, mais vous m’avez surpris.
Je suis habitué à bien plus de mépris.
Vous trouverez des gens dans toutes ces ruelles :
Les agents de l’état s’en servent de poubelles.
Pour moi, je vais chercher un habit de soirée
Dans la fange des rues des quartiers plus huppés. »
Et nous voilà partis, chacun vers sa mission :
Pour lui le ramassage et pour moi les chiffons.


Comme il me l’avait dit, je découvris bientôt
De grands lieux de débauche où les corps s’empilaient
Et au pied de ces gens qui sans fin copulaient,
Je pris des vêtements que je passais tantôt.

Quand je retrouvais l’ange, il menait une foule
D’hères tout bigarrés ravis de l’occasion ;
Ils s’égaillèrent près des jouisseurs en fusion,
Choisissant leurs habits sous la vivante houle.

Nous fûmes réunis, qui en frac qui en robe,
Sur un îlot rocheux que l’ange avait taillé
Dans un pic montagneux que rien n’avait souillé
Puis sous son impulsion nous quittâmes ce globe.

Il s’exclama alors dans le plus grand silence :
« Venez tous au festin où vous êtes conviés !
Vous êtes invités par le jeune marié ;
Réglez-vous sur son pas lorsque viendra la danse. »

Il conclut son discours par un geste d’invite.
Munis de cet avis, nous quittâmes l’îlot
Pour un vaste jardin encadré par les flots
Puis je sentis en moi une intuition subite.

J’allais à une dame évadée d’un asile
Où l’avait enfermée un monde corrompu
Et je pris dans ma main sa pauvre main tendue ;
Un sourire trembla sur ses lèvres graciles :

« -Tu arrives bien tard, mon cher et tendre époux.
As-tu donc bamboché tout le long de la route
Alors que j’attendais, pétrifiée par le doute ?
T’es-tu ligué à ceux qui voient en moi un pou ?

-Ils ne me voyaient pas, ô vous mon espérance,
Ou bien ils me frappaient de leurs poings, de leurs mots
Et puis ils ajoutaient à chacun de mes maux
Le poids de leur pitié qui moquait mes souffrances.

-Peu importe après tout, je suis là avec toi.
Devons-nous au hasard d’y arriver ensemble ?
-Bien plutôt au Seigneur, ou du moins il me semble :
Puisque nous sommes un, toi sans moi n’est pas toi.

-C’est bien ce que je sens, mais je voulais l’entendre.
-Je n’ai su qu’en parlant que cela était vrai.
-Allons-nous découvrir ce lieu et ses attraits ?
-Il est déjà parfait dans ton étreinte tendre. »

Bras dessus, bras dessous, nous suivîmes les autres
Pour former avec eux au milieu des taillis
Comme un grand arc-en-ciel et une longue nuit
Où nous nous exclamions : « Ce moment est le nôtre ! »

Chacun avait trouvé sa moitié égarée
Dedans le vaste monde et ses fausses promesses
Et tous s’acheminaient au milieu de la liesse
Dans la sérénité d’un être réparé.

Nous venions au lever d’un tout nouveau soleil
Et cherchions le marié, Seigneur de ces merveilles,
Enfant de la pitié, Esprit qui sur nous veille :
Il brillerait bientôt d’un éclat sans pareil.

Lorsqu’il nous trouverait,
Nous voulions être prêts,
Nous enfants de la fange
Amenés par un ange
A suivre le Sauveur
De la croix au bonheur.

L'Avenue du Ciel (table des matières)

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mardi 26 septembre 2023

Du dieu des modernes

 

Durant le dernier tiers du vingtième siècle, l'occident découvrit qu'il avait envie de s'abandonner impunément à ses désirs, même les plus pervers, et que par conséquent son Dieu ne faisait plus l'affaire. Bien sûr, il était bon mais il était aussi Seigneur des armées et Dieu de l'orage, et son fils était venu apporter la guerre et le pardon des péchés à ceux qui se repentent. Or, les modernes voulaient un monde sans péché qui leur épargnât ainsi de contempler les leurs.

Ils en firent donc un que nous nommerons Bouboule parce qu'il est tout lisse, tout doux, tout mou. Bouboule est le dieu des bisous, des mamours et des poutous. Bouboule ne condamne pas l'homicide : il dit qu'il faut être gentil et que tout ira bien ; Bouboule ne dit pas à la femme adultère de ne plus pécher : il lui conseille d'utiliser un préservatif. Bouboule n'ordonne rien, ne condamne rien et ne punit jamais car Bouboule est gentil et pardonne tout.

Bouboule n'est pas masculin parce qu'un homme peut être dur, rugueux et plein d'aspérités. Bouboule n'est pas féminin parce qu'une femme peut être dure, rugueuse et pleine d'aspérités. Non, Bouboule est un être transgénique, bio et scientifiquement certifié sans danger.

Bouboule est en solde au grand magasin des divinités. Courez l'acheter.


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samedi 16 septembre 2023

Prières nocturnes


Parfois, je demande à la nuit
de s'en venir et de me prendre
à cette horreur que la vie fuit,
de m'emmener me faire pendre
ailleurs, bien loin de ce enfer.

Parfois, je dis dans mes prières :
« Mon doux Seigneur, je t'en supplie,
tue-moi. Je vomis cette terre
où seul le mal est accompli :
débarrasse-la d'un pécheur. »

Lorsque viendra ma dernière heure,
je sais que je geindrai pourtant
pour rester dans cette demeure
au delà de la fin des temps.
Que voulez-vous ? Je suis humain

vain du début jusqu'à la fin
de mon destin bien anodin.

mardi 5 septembre 2023

Théophanies


Gloire au lapin, Seigneur, qui porte dans son cœur
La clarté consacrée née de ta volonté ;
Gloire au faucon, Seigneur, qui porte dans son cœur
La clarté consacrée née de ta volonté.

Gloire à tous les vivants qui sont nés de par toi
Car en tout ce qui meurt est l'écho de ta voix :
Le lapin dévoré retourne à l'univers
Mais sa douce clarté s'en revient vers le Père.

Tu as voulu, Seigneur, un cosmos autophage
Qui en se dévorant perdure d'âge en âge,
Tu as voulu la vie dans toute sa beauté
Et chaque être a sa place au creux de ta bonté.

Puissions-nous nous aimer et voir la vérité
De ta propre splendeur illuminant nos êtres,
Puissions-nous distinguer au travers du paraître
Le reflet de ta gloire en notre humanité.

jeudi 31 août 2023

Mesure sociale


                 Il était une fois, dans un pays joyeux, un peuple très heureux car ses maîtres étaient bons. Jour après jour, les esclaves œuvraient dans les champs à faire pousser une plante nommée « liberté ». Une fois récoltée, elle était emballée sous vide avant d'être entreposée dans les hangars des maîtres, prête pour l'expédition.

Nul n'était malheureux dans ce doux pays car tous y étaient égaux : on ne comptait que des esclaves parmi la valetaille. Les plus méritants d'entre eux se voyaient attribuer des rations particulières et des signes distinctifs puis devenaient contremaîtres, chargés de surveiller le travail des autres esclaves.


S'il existait un problème dans ce beau pays, c'était celui des chaînes. Chacun se plaignait de ses poignets ou de ses chevilles blessés et on ne comptait plus les chiffons distribués par les contremaîtres médicaux aux esclaves presque estropiés par l'étendue et la gravité de leurs plaies. Or, les chiffons coûtaient très cher aux maîtres et les moins riches d'entre eux avaient déjà dû rogner sur quelques menus plaisirs.

Un peu ennuyés, les maîtres constituèrent une équipe d'esclaves scientifiques pour résoudre ce problème et augmentèrent leurs rations afin de les stimuler. Après bien des calculs et force conciliabules, l'équipe rédigea toute une série de rapports démontrant que c'étaient les angles des menottes qui blessaient les esclaves, et qu'il fallait donc leur faire porter des bracelets ronds.

Ce fut au tour des esclaves techniciens d'entrer dans la danse. Ils créèrent des moules pour les nouveaux anneaux, rendant ainsi des centaines d'esclaves forgerons disponibles pour le travail des champs. En effet, quel besoin aurait-on eu de tels spécialistes suralimentés alors que n'importe quel imbécile pouvait travailler dans les usines de fabrication d'anneaux, et cela pour presque rien ?

Satisfaits de ce résultat, les propriétaires firent ériger par le plus célèbre des esclaves artistes une statue des scientifiques prosternés au pied de leurs maîtres afin de les honorer. Ils retournèrent alors vaquer à leurs loisirs bien mérités après tant de travail accompli.

Ce fut ainsi, mes chers amis, que notre pays devint encore plus heureux qu'il ne l'était auparavant. Bénissons nos maîtres, car ils sont justes et bons.


Contes (table des matières)

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mardi 1 août 2023

L'aurore aux sabots de rose


La biche de l'aurore a pointé son museau
Là-bas très loin à l'est, juste entre les feuillages
Et puis un peu plus près, entre ces deux nuages
Comme elle franchissait la mer comme un ruisseau ;

Ses tout petits sabots, en effleurant les eaux,
Y traçaient de grands arcs qui rejoignaient le ciel
Et les fleurs s'entrouvraient dans un parfum de miel
À la vue de son corps courbé comme un roseau,

Et elle a lapé là, oui, là, tout près de moi
Tout le sel que mes pleurs y avaient répandu
Et elle a retrouvé mon sourire perdu
En rendant à mon cœur et la joie et la foi.

Note : Dans la présentation du psaume 22, on peut lire ces mots : Sur « la biche de l'aurore ». C'est ce titre qui est à l'origine du poème qui précède.


Poésies diverses (table des matières)

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samedi 29 juillet 2023

De nocte


Du désespoir, je crie vers toi, Seigneur !
Mon Dieu, sois sensible à ma voix,
Fais que mon cri trouve sa voie
Jusqu'au lieu où trône la loi.

Mes manquements, tu les as vus, Seigneur,
Et je connais mon démérite :
Bien souvent mon âme t'évite
Pour ne pas voir qu'elle est perdue ;

Et pourtant j'espère en ta loi, Seigneur,
Et je n'attends que sa parole
Pour que cesse le Grand-Guignol
Où mes semblables se dévoient :
Montre-nous ce qu'est la justice
Quitte à m'envoyer au supplice.

Comme une fleur qui s'ouvre au jour, Seigneur,
Mon âme s'ouvre à l'espérance
De voir s'achever notre errance
Dans la clarté de ton amour.



Note : Ce poème est inspiré d'une traduction du Psaume 130, le fameux De Profundis, trouvée dans la Bible de Jérusalem (CERF, 2011).

Maxime prudente

 

Demander à Dieu de nous délivrer de nos ennemis ne revient-il pas bien souvent à supplier le Seigneur de nous annihiler ?


Maximes et autres moralités

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mardi 18 juillet 2023

Du mur

 

La plupart des gens parvenant au pied du mur le contournent, tout simplement. Certains, plus joueurs, le franchissent, les plus grands n'ayant besoin de guère d'élan. Très peu, en vérité, s'arrêtent devant lui pour se demander ce qu'il fait là. Il n'y a rien autour, ni devant, ni derrière, qui semble valoir la peine d'être protégé ; qui plus est, que pourrait bien défendre un mur aussi petit ? C'est bel et bien un mur défensif, un mur destiné à vous arrêter : cela est incontestable car son aspect massif et austère le prouve. Pourtant, encore une fois, il est facile à contourner ou à franchir.

Parmi ceux qui s'arrêtent à son pied, quelques-uns, plus intrigués que les autres, l'examinent vraiment. Ils attestent unanimement que le mur est formidable. Se trompent-ils ? Le monde presque entier l'affirme puisque ce mur ne peut arrêter que ceux qui s'y arrêtent.

Certains ont rapporté que le mur n'existe pas pour les animaux. Ils ne le franchissent ni ne le contournent jamais puisque pour eux il n'est pas là, ni ailleurs d'ailleurs.

Non, ce mur n'existe que pour nous. Il est planté là, tel une énigme que presque personne ne se soucie de résoudre.

Il arrive pourtant parfois que quelqu'un décide de ne plus franchir le mur. Comme je l'ai déjà dit, il n'y a rien de bien terrible autour, alors pourquoi le faire ? Et puis, il doit bien être là pour quelque chose, non ? Et là, patatras. Les problèmes commencent. Les passants vous regardent, d'abord intrigués puis scandalisés. Les murmures montent et la rumeur enfle. Vos amis, grands et petits, vous disent de ne pas laisser un mur s'installer entre vous. Des professionnels de santé vous proposent diverses thérapies pour vous aider à franchir cet obstacle. Un agent de la maréchaussée vient vous informer qu'il existe une amende pour sanctionner le non-franchissement de ce mur et que, si vous persistez dans votre attitude indigne, vous ferez bientôt connaissance avec d'autres murs.

Bref, tous confirment ce que vous soupçonniez depuis fort longtemps : ce mur est important.


Table des contre-essais

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jeudi 6 juillet 2023

Célébrants


Certains curés sont des artistes
Qui donnent de petits concerts
Où ils répandent le cancer
D'une théologie bien triste ;

D'autres curés sont des vedettes
Qui donnent dans l’événement
Où s'entendent tous les braiements
D'une philosophie simplette,

Et il y a les serviteurs
Qui ne font que suivre le rite
Et qui nous offrent le mérite
De croître selon le tuteur ;

Ces derniers sont parfois des Marthe
S'affairant devant leurs fourneaux
À préparer pour le troupeau
Le viatique de ceux qui partent ;

D'autres fois ils sont des Marie
Qui sur la nef hissent la toile
Pour nous faire aller à grand'voile
Jusqu'au pied de celui qu'ils prient,

Mais ils s'en vont à tire-d'aile
Des temples devenus musées
Où les touristes vont muser,
Curieux de nos vieux rituels :

Il restera les fonctionnaires,
Dernière cuvée des curés,
Qui cachent un cœur de rentier
Sous un sourire débonnaire.

Poésies diverses (table des matières)

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Maxime genrée


La femme est un être qui vit.

L'homme est un être qui meurt.


Maximes et autres moralités

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samedi 1 juillet 2023

Contre-essais

 

Table des contre-essais :


Tout d'abord, une définition : une contre-essai est à l'essai ce qu'un contre-jour est au jour.

Du titre de prince de ce monde

Des miracles du Paraclet

Du mur

Du dieu des modernes

De l'objectivité

Du massacre des Innocents

De l'amour universel

Des miracles du Paraclet

 

Le propre de la plupart des miracles accomplis par l'Esprit Saint est d'échapper à l'attention de tous. La cause de ce curieux phénomène est simple : il ne s'est rien passé. C'est justement là qu'est le miracle.

En effet, l'Esprit Saint, bien souvent, fait non pas qu'une chose arrive mais qu'elle n'arrive pas, raison pour laquelle nul ne s'en aperçoit et personne ne l'en remercie.

Théophraste a laissé une vitesse enclenchée mais une branche tombée fait office de cale ; Cunégonde se prépare à traverser au rouge mais elle se rend compte qu'elle a laissé ses clefs chez elle ; Ildephonse veut dire ses quatre vérités à sa patronne mais il a une extinction de voix : rien ne s'est passé, tout est arrivé. La personne qui gagne au loto remercie la chance et la bénit, mais que va dire celle qui perd et qui, ainsi, ne dispose pas de l'argent qui lui aurait permis de s'avilir à l'envie ?

En veillant à ce que des choses n'arrivent pas, l'Esprit Saint reste bien souvent, si vous me permettez ces expressions un peu triviales, très en dessous de la portée des radars, invisible aux lentilles des meilleures caméras, inaudible des micros-canons, et cela simplement parce qu'il n'y a rien à voir, à entendre, à toucher ou que sais-je. Rien ne s'est passé, tout est arrivé.

C'est pourquoi il me semblerait judicieux de rendre grâce à Dieu non seulement pour tout ce qui se passe de bon mais aussi pour tout malheur qui ne se passe pas. Bref, de rendre grâce tant que l'on assez de vie pour le faire, et cela même et peut-être surtout si l'on ne sait pas pourquoi.


Table des contre-essais

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Du titre de prince de ce monde

 

Avez-vous déjà entendu parler du prince de ce monde ?

C'est grâce à lui qu'un jeune délinquant se verra arrêté puis placé en détention afin que ses gardiens et ses camarades de cellule puissent lui enseigner le mépris de soi si nécessaire à la haine du monde.

C'est grâce à lui que l'innocent trouvera ouverte la porte qui aurait dû être fermée.

C'est grâce à lui que l'homme d'affaire rencontrera le fonctionnaire pour qui l'honneur n'est pas même un souvenir.

Ces prestiges du mal, me direz-vous, sont aussi grandioses qu'accablants. Je vous l'accorde, mais à quoi pensiez-vous que servait le titre de prince de ce monde ? À être invité dans les cocktails de l'ONU ou lors les réunions du clergé ? Bien sûr, il sert à cela aussi mais, fort heureusement pour le malin et bien malheureusement pour nous, son titre lui donne également le pouvoir de faciliter le mal et de couvrir de pétales de roses le chemin de ses disciples, du moins tant qu'ils ne lui appartiennent pas pleinement.

Tel est donc le maître que l'humanité s'est choisi et qui gagne chaque élection depuis fort longtemps.

Et Dieu, me direz-vous, que fait-il ? Et bien, ce que peut faire l'opposition qui perd chaque élection. Il attend que nous cessions de dormir au coin du feu des enfers comme les bons chiens du diable que nous sommes.


Table des contre-essais

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vendredi 30 juin 2023

Mehr Licht : certes, mais laquelle ?

 

Les lumières qu'engendre la religion éclairent doucement et sont environnées de pénombre.

Les lumières qu'engendre la raison éclairent vivement et sont environnées de ténèbres.

La raison en est peut-être que la foi regarde l'autre tandis que la raison ne regarde que soi.


Maximes et autres moralités

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La cathédrale dont les flèches visent le bas

 

Dans ce petit bois, on ne compte plus les hommes venus s'allumer mutuellement leurs cierges de chair qui ne cherchent que le bas. En des processions tumultueuses, ils les brandissent et se les offrent, en quête de l'anus-sœur, de la bouche à baiser. Et les cierges s'agitent, s'agitent pour éructer une pauvre flamme semi-liquide qui remplit un réservoir de latex. L'offrande est alors prête pour rejoindre l'en-bas, portée par les eaux usées de la ville proche.

Et puis le jour vient où le fidèle ne trouve plus de trou où mettre son cierge : il est vieux, trop vieux pour plaire encore aux foules qui se succèdent dans le petit bois. Et puis son cierge marche mal : lui aussi est vieux et usé par tant et tant de processions et d'offrandes à l'en-bas.

Alors le fidèle prend la gélule que lui offre le monde et propose aux foules son cierge ragaillardi mais il reste vieux, trop vieux pour plaire aux jeunes hommes en quête de plaisir. Dorénavant, il lui faudra payer pour pratiquer ou bien se contenter de consommer les images pieuses véhiculées par la toile tissée pour le prendre.

C'est à ce moment que le fidèle comprend qu'il sera bientôt temps de rejoindre les fruits de sa pratique, porté par les eaux usées de la ville jusqu'à l'en-bas.


Poèmes en prose (table des matières)

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jeudi 8 juin 2023

DAFB 13 - Oniromancie (2)

 

-Ah, vous avez compris ça ? Ces derniers temps, j'avais un peu l'impression qu'il me manquait quelque chose. Pas la télé ni les smartphones, même pas les livres ou les gens. Mais quelque chose n'allait pas

-Non. Pas moyen. Alors, j'ai fait un rêve.

-Non, pas lui. Lui, il vient avec la télé et les smartphones, avec les livres et les gens, il est là pour ceux qui perdent tout contact avec la vie.

-J'en suis désolé. Vous savez, ce n'est pas facile de parler non plus. Je n'ai plus vraiment l'habitude de faire du vent avec ma bouche.

-D'accord, d'accord. Ce n'est vraiment pas facile. Dans mon rêve, j'étais un enfant et je me trouvais devant une rivière du genre un peu énervé, comme quand les neiges fondent et que la pluie s'en mêle.

-Sept, huit ans, quelque chose comme ça. L'âge où vous êtes déjà chiant mais toujours adorable.

-Je voulais la traverser. De l'autre côté, cela n'avait pas l'air si terrible que ça, vu de là où j'étais mais, allez savoir pourquoi, je voulais à tout prix traverser.

-C'est bien là tout le problème. Déjà maintenant, je n'y arriverais pas sans au moins une corde, alors à sept ans, vous pensez !

-Je restais là sans savoir quoi faire et puis j'ai vu un type se pointer. Il faisait un mètre soixante-dix à tout casser, et encore ; il avait le crâne rasé et de la barbe. Il portait une robe avec une corde nouée autour de la taille, comme les franciscains, mais elle était faite d'un tissu ocre et souple, comme celles des theravadins. Autour du cou, il portait une cordelette à laquelle était attachée une croix faite de tiges de bambou liées entre elles.

-Oui, c'était lui. Il ne me l'a pas dit et je ne l'ai pas reconnu sur le coup mais ce devait être lui.

-Pas terrible, en fait, mais pas banal non plus. Tout était dans le regard, comme s'il était toujours surpris de vous voir mais qu'il était content de sa pioche.

-Il m'a demandé si je voulais traverser. J'ai dit que oui. Il m'a proposé de grimper sur ses épaules. J'ai dit d'accord. Il m'a décollé du sol, m'a pris sur ses épaules et puis il a traversé la rivière.

-Elle est bonne, celle là ! Vous le prenez pour Jésus ? Il était trempé jusqu'aux os et il gémissait à chaque pas mais il est arrivé de l'autre côté. Là, il m'a posé par terre et puis il s'est retourné et il est reparti vers l'autre côté.

-C'est juste que juste avant de partir, il a dit quelque chose. Il m'a regardé droit dans les yeux et il m'a dit :

« Tu n'es pas Dieu. »


D A F B (table des matières)

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mardi 6 juin 2023

DAFB 12 - De concert au marché

 

Discours et anecdotes de la forêt des bambous plus hauts que les montagnes mais moins vastes que le ciel


De concert au marché


Je repensais souvent à ma rencontre avec le poète, m'interrogeant sur les raisons de notre sympathie si soudaine. Plutôt que de faire connaissance, nous avions repris une conversation longtemps interrompue à l'endroit-même où nous l'avions laissée comme si nos vies, le temps ou la géographie n'étaient rien. C'était du moins ainsi que je ressentais les choses. En allait-il de même pour lui ? Je l'ignorais mais je souhaitais le voir à nouveau.

Et, comme si de rien n'était et faisant fi de toutes les raisons qui pouvaient nous tenir séparés, je me mis à penser à ma réponse. Puisqu'il avait chanté sa vision des voies de ce monde et de l'autre, j'allais faire de même. Certes, je n'allais pas lui offrir un récital d'opéra à sa façon mais ma voix avait été travaillée à la rude école du maître des novices, loin là-bas dans le monastère que j'avais dû quitter, rude en ceci qu'on y exigeait le meilleur de chacun mais non pas inhumaine comme celles où l'on attend de tous une perfection bien vaine. Les moines de la forêt qui m'avaient entendu chanter des psaumes avaient été surpris par une musique différente de celle à laquelle leurs oreilles étaient accoutumées mais l'avait trouvée agréable et reposante pour l'esprit, ce qui me confortait dans cette approche.

Toutefois, il me restait à trouver que dire et, suivant en cela ma technique favorite, je ne le cherchais pas. Je m'en allais sur les chemins en murmurant dans mon cœur le nom du Sauveur, contemplais les merveilles de la création et me réjouissais dans sa beauté.

Enfin, un matin, alors que je venais d'achever de dire mes prières, je sus qu'il était temps de prendre la plume et j'écrivis quelques vers dans la langue religieuse des moines de la forêt, que nous parlions tous deux, avant de les retravailler longuement. Il s'écoula une semaine avant que je fusse prêt. Débutèrent alors les répétitions, les corrections et les ajustements, tous ces mille et un détails sans lesquels une œuvre, même mineure, n'est qu'un brouillon ou au mieux une ébauche. Et puis, un jour, je sus qu'il était temps d'abandonner ma tâche. Certes, ce n'était pas parfait, d'autant que je n'étais nullement un artiste inspiré, mais il s'y trouvait ce que je voulais dire sous une forme que je jugeais satisfaisante.


Il s'écoula encore quelques temps avant que je ne revis le poète et cette rencontre n'eut rien d'idéal. Il venait d'achever un récital sur la place d'un marché et buvait de l'eau à longs traits en compagnie de quelques confrères au beau milieu du brouhaha qui accompagnait toujours ce type d’événements. Pourtant, l'esprit voulait que je parlasse, et je le fis. J'aimerais pouvoir prétendre que tous se turent pour m'écouter mais ce ne serait que vantardise. Toutefois, nul ne m'interrompit et beaucoup me prêtèrent attention. Voici la traduction de ce que je chantais alors :


Je suis la harpe du Seigneur
Il joue de moi et je résonne
Entendez les notes qui sonnent
Lorsque sa voix touche mon cœur

Sur les chemins je chante Dieu
Et sous les toits je fais de même
Toute la graine que je sème
Je l'ai recueillie dans les cieux

Là-haut tout le monde est heureux
Là-haut plus rien qui vous atteigne
Là-haut la justice enfin règne
Là-haut l'amour est victorieux

Quand je commence une chanson
Les enfants me jettent des pierres
Les hommes se noient dans leur bière
Les femmes dans leurs discutions

Et puis chacun s'en va prier
Pour qu'on m'arrête et qu'on me pende
Car même la nuit ils m'entendent
Les appeler à la pitié

Pitié pour tous les exploités
Pitié pour les auteurs de crimes
Pitié pour toutes les victimes
Pitié pour les riches rentiers

Mais que faire de ses loisirs
Si l'on ne peut crier sa haine
Ou bien se vautrer dans sa peine
Mieux vaut souffrir pour le plaisir

Un jour sans doute ils me prendront
Et me parleront de justice
Et puis après quelques supplices
Pour rire un peu ils me pendront

Alors ils rentreront chez eux
Alors ils m'oublieront peut-être
Alors je prierai pour les êtres
Alors je verrai enfin Dieu


Quand j'eus achevé ce que j'ose nommer mon récital, le poète vint vers moi et me dit sur le ton de la conversation :

« C'est donc cela que tu penses ? Il va falloir que j'y réfléchisse. »

Il m’entraîna vers ses compagnons, m'offrit une gourde d'eau et nous devisâmes quelques temps au milieu de la foule, comme si le monde n'était rien d'autre qu'une infime poussière dansant dans la clarté du Seigneur.


D A F B (table des matières)

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vendredi 26 mai 2023

Babel 2

 

Je voudrais vous parler de celui que je nomme Simon. Je l'ai baptisé ainsi lorsque l'état a décidé d'en faire son Pierre. Simon est informaticien. Simon est poète. Simon est un génie dont j'ai l'honneur et la peur d'être le Baptiste.

J'ai rencontré Simon pendant des vacances, terme merveilleusement approprié pour décrire ce que Simon va faire, va nous faire. Simon va se muer en voyagiste, en tour operator du vide menant au néant. Moi, je ne suis que l'appel d'air qui va vous faire passer la porte de son agence.

Simon est poète, disais-je. C'est cela qui a provoqué notre rencontre. Ce jour-là, j'essayais vainement de me faire croire que j'étais bien, que j'étais heureux mais je ne savais pas quoi faire de moi-même. Or, en passant devant le syndicat d'initiative, je vis une affichette qui disait ceci : « Poésie. Pré aux fées. 15H30. » Tout comme mon chef de service, le webmestre de ce site et mon supérieur à la POPOL, je lis et j'écris des vers. Ne cherchez pas mon nom dans votre mémoire : il n'y est pas. J'ai dit que j'écrivais des vers, pas qu'ils intéressaient quelqu'un. Moi aussi, je suis une voix qui crie dans le désert, mais mon désert à moi est vraiment désert.

Bref, un peu avant trois heures et demi, je me trouvais dans le pré aux fées avec une centaine d'autres personnes, ce qui est vraiment beaucoup pour de la poésie, surtout aussi mal annoncée. Toutefois, je constatais vite qu'ils se connaissaient presque tous, au moins de vue. Il existait une sorte de connivence entre eux. Ils savaient ce qu'ils faisaient là.

Devant nous, il y avait une petite scène. Sur la scène, un système d'amplification, une boite à rythme relativement simple et un micro. À 15H25, le poète monta sur la scène, vérifia que tout fonctionnait et commença.

Il fit démarrer un motif simple sur son engin : deux temps faibles, un temps fort, trois temps faibles. Ne m'en demandez pas plus car, si je suis sensible au rythme des choses, je n'y connais à peu près rien d'un point de vue technique.

Au fait, un petit message à tous les apprentis Docteur Mabuse : le secret n'est pas dans le rythme.

L'homme déclama alors son texte sans suivre de méthode particulière ; le débit était naturel en apparence et la voix assez peu travaillée. Voici ce qu'il dit :


«You me yumi
You me yumi
Love, love

You me yumi
You me yumi
Love, love

You you you you
You you you you
Dove, dove

Me me me me
Me me me me
Grove, grove

We so kawaï
We so kawaï
Ove, ove

Here in Hawaï
Here in Hawaï
Stove, stove. »


Alors qu'il semblait vouloir poursuivre, je décidais de m'en aller car j'avais mon compte et davantage. J'aime la poésie, j'aime ma langue natale et quelques autres mais ceci n'était rien, tout simplement : une sorte de gloubiboulga façon Casimir, si vous suivez ma pensée.

Seulement, lorsque je voulus me lever, je ne le pus pas. Ma tête hochait en suivant le kick, mes mains tapaient le rythme, mes yeux pleuraient de joie et mes lèvres étaient presque douloureuses à force de sourire. J'observai les idées de sécurité, de paix, de bonheur et d'amour qui me traversaient en un flot presque continu tout en suivant le flux de ma respiration. C'est l'une des bonnes choses qu'apporte la méditation : vous n'êtes plus obligé de prendre au sérieux toutes les histoires que l'esprit se raconte.

Quelques minutes après la fin de la représentation, mon état était redevenu normal à l'exception de « flashs » d'euphorie comme en connaissent certains drogués. J'allais alors discuter avec celui qui se considérait comme un artiste et qui se montra quelque peu étonné par mon manque d'enthousiasme, au sens étymologique du terme, jusqu'à ce que je lui eus expliqué ce que j'avais fait. Il me remercia chaudement et m'assura que si je revenais le lendemain, tout se passerait mieux. J'eus alors envie de tuer cet homme mais, au lieu de cela, je lui fis état de ma qualité de poète amateur et clamais mon admiration sans borne pour la qualité sonore de ses vers.

J'avais frappé juste. Ce fat croyait vraiment qu'il écrivait de la poésie et que ses prouesses technologiques n'étaient qu'un mise en valeur de son génie linguistique.

Pour être bref, voici en substance ce qu'il me dit. Selon lui, chaque cerveau humain avait un langage naturel et utiliser sa langue natale revenait à opérer une traduction plus ou moins habile. En fait, personne n'utilisait intérieurement la même langue qu'un autre. En se servant du langage interne de quelqu'un, on pouvait lui faire faire n'importe quoi, lui faire dire ou penser ce que l'on voulait et il croyait que tout cela venait de lui-même.

Comment faire ? Et bien, en collationnant tous les renseignements que contenaient les machines sur chaque individu grâce à une IA et à l'aide des algorithmes appropriés, on pouvait obtenir une bonne approximation du langage de chacun.

Il me décrivit alors le paradis qu'allait bientôt devenir le monde. Chaque être humain pourrait s'y exprimer dans sa langue naturelle via une IA qui transmettrait aux autres non pas ce qu'il disait et qui pouvait se montrer offensant pour certains mais bien ce que les autres voulaient entendre, quoi que ce fût, dans une version unique à chacun. Cette nouvelle tour de Babel respectueuse de toutes les diversités me donna le vertige.

Je crois à présent que j'aurais dû obéir à mon instinct et débarrasser le monde de ce déchet. Ne voyez pas là une métaphore ou un vœux pieux : je suis un membre de la POPOL et, à l'exception de militaires bien entraînés, très rares sont les gens qui pourraient m'opposer un semblant de résistance dans un corps à corps, surtout lorsque mon seul but est de les liquider.

Seulement, je suis aussi un fonctionnaire et, selon la formule consacrée, je suis loyal envers l'état.

Alors, je rendis compte à mon supérieur qui rendit compte au sien et ainsi de suite.

Et me voici collé aux basques de ce crétin qui me prend pour son féal le plus dévoué. Il goûte particulièrement mon humilité devant son génie. Il aime m'entendre parler de ses vers.

Il devait en être ainsi, je crois. Qui peut mieux détruire une chose que celui qui l'aime ?

Je pourrais me consoler en me disant que, bientôt, vous aimerez mes poèmes. Le problème est que je sais que la lecture du programme télé vous remplira aussi de joie. Comme Simon, vous vous masturberez frénétiquement en vous regardant et, partout, vous ne verrez rien d'autre que vous-même et vous vous aimerez et vous serez heureux car rien d'autre ne vous sera autorisé.

Le véritable point commun entre tous ceux qui vitupéraient contre l'autorité de Dieu, c'est qu'ils n'avaient jamais goûté pleinement aux joies de la démocratie. Vous, vous les connaîtrez bientôt.

Et dire que je me sentais seul. Je crois que je vais devoir inventer un nouveau mot.


Contes (table des matières)

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samedi 6 mai 2023

Choresthésie


Imbibé de lumière, imprégné de silence,
Au dessus est l'oubli, au dessous est la transe,
À gauche le destin, à droite le chaos,
Devant l'espace vain, derrière tout est clos.
Où aller et que faire, où aimer, à qui plaire ?
Ici, rien, nulle part, à personne sur terre,
Ni en toi ni ailleurs où l'absurde demeure.
Et pourtant, aujourd'hui, il est temps il est l'heure !
Alors il faut s'asseoir et aussi regarder
Et il faut écouter pour bien raison garder.

Danse dans la clarté au rythme du silence,
Savoure la grandeur du son immaculé ;
Dans la douceur moirée d'une aube en son essence,
Épouse la splendeur de l'astre mordoré ;

Et après ton zénith, décrois sans te cabrer,
Uni au mouvement de la nuit qui s'étend :
Pour celui qui médite, il est temps de sombrer
Vers l'astre renaissant du jour qui nous attend.

Le secret des secrets (2)


Bien las de mes travaux, perclus d'épuisement,
Je prenais du repos en un estaminet,
Cherchant à retrouver la foi qui m'animait
Lorsque mon athanor mijotait doucement.

Là, je m'abandonnais à mon humeur sinistre,
Las de Fulcanelli, déçu du Trévisan,
Fatigué des cornues, fuyant les cormorans,
Je voulais m'enivrer pour oublier ces cuistres.

Pourtant dame Nature apaisa mon émoi
Et vint me conseiller par le biais de ses filles
Dont on dit que bien fol est celui qui s'y fie
Mais bien désespéré qui vit hors de leur loi.

« Si la parole est d'argent, le silence est d'or. »

Ceci fut déclamé par une jeune Grâce
Qui venait d'employer la langue des oiseaux !
Et elle restait là, courbée comme un roseau,
Aspirant dans son verre un reste de vinasse.

« Ce type n'est pas une lumière, d'accord ? Chez lui, il n'y a pas de courant à l'étage. »

Telle fut la réponse, ô combien éclairante
De sa noble compagne à l'accent si vulgaire
Que le patron du bar se réfugia sous terre
En quête de houblon et aussi d'amarante.

« Ferme ta gueule et mange mes règles, connasse ! »

Dit la troisième Grâce, enfant de l'au-delà.
À toi tout mon amour, et la pomme et mon foie !
Cent mille fois bénie soit celle qui t'envoie !
Fiat lux et eurêka, ce n'est donc que cela ?

Ma flamme ranimée, je quittais le troquet,
Habité d'une joie à nulle autre pareille
Et m'en allai chez moi contempler la merveille :
Un roi couronné d'or y jouet au bilboquet !

Poèmes en prose (table des matières)

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lundi 1 mai 2023

Psychoclastes


Enfoncé comme un coin dans le creux de nos âmes,
Dans ce lieu merveilleux où trônait une flamme,
Le burin du soupçon résonne tristement
Sous les coups de marteau de nos médias déments.


lundi 24 avril 2023

Le secret des secrets (1)

 

Le secret des secrets n'a pas besoin d'être tenu secret parce qu'il est incroyable. C'est heureux, d'ailleurs, parce qu'il est connu de tous, ou en tout cas de beaucoup. Du moins, beaucoup de gens l'ont connu mais ils ne s'en souviennent plus. Ils l'ont oublié parce qu'ils ne l'ont pas cru, d'une part, puisqu'il est incroyable, mais aussi parce qu'il paraît impossible, d'autre part. Quand je dis impossible, j'entends par là que personne, bien portant ou fou, ne peut croire que ce soit là une chose importante, alors chacun l'oublie. Disons donc qu'il est à la fois incroyable et immémorable et non pas impossible, même s'il le paraît aussi.

Le plus intéressant, me semble-t-il, est que nul détenteur du secret des secrets ne s'est jamais soucié de l'enseigner. La raison de ce fait est simple. Moi qui écris ces lignes, je l'ai trouvé plusieurs fois pour l'oublier aussitôt ou peu de temps après. Comme je ne suis pas prêt pour lui, il ne l'est pas pour moi. Je le cherche, je le trouve puis je l'oublie. C'est comme ça que cela se passe. Je l'ai encore trouvé cette nuit mais je sais que je vais l'oublier parce que mon esprit ne l'accepte pas. C'est sans doute cela, le but d'une vie d'oraison, de prière et de méditation : ne pas seulement dire « Mais bon sang, mais c'est bien sûr ! » quand on le trouve, mais aussi croire enfin ce que l'on a toujours su sans l'accepter.

Maintenant, vous vous dites peut-être : « Mais écris-le, bon sang ! Si tu es trop con pour l'utiliser, d'autres le comprendront et s'en serviront ! »

Si vous vous dites cela, c'est parce que vous savez pas que vous le connaissez mais qu'à vos yeux, il n'a ni importance, ni intérêt, ni usage. Il n'est secret que parce qu'il est incroyable et immémorable, pas parce qu'on ne le révèle pas. Si vous voulez seulement voir qu'il est important, il vous faut pratiquer une spiritualité. Sinon nada, niet, rien, vous vous ne vous rendez même pas compte que vous avez su et vu. J'ai souvent essayé de le dire avant de l'oublier mais ces tentatives n'ont rien donné. Il est écrit sur ce blog sous la forme de métaphore, de comparaison, d'image et sous forme directe mais même moi, je ne l'y retrouve pas, sinon durant mes moments de lucidité. Je le lis, je comprends les mots et rien ne se passe. Je l'oublie, et c'est tout.

Tu en doutes, lecteur ? Allons essayons encore et tu verras : le « moi » est une illusion qui cache le fait qu'il n'a pas de fin parce qu'il n'a pas de début. Tu le sais, je le sais. Et alors ? Alors, rien. Ni toi, ni moi ne sommes prêts. Si nous l'étions, nous ne serions pas en train d'écrire ou de lire. Je n'essaierai pas de te convaincre parce que tu connais déjà mille preuves de cela. Seulement, tout comme moi, tu les refuses.

Une dernière remarque qui m'amuse : quand je me relirai, je ne comprendrai plus le secret alors il n'aura pas de sens à mes yeux, encore une fois.

Poèmes en prose (table des matières)

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mercredi 19 avril 2023

Demain, la nuit


Dans sa tête Marianne est une jeune enfant ;
Elle court dans les champs non loin de sa maman.
Toutes deux sont venues apporter à papa
Leurs rires et leur joie ainsi qu'un bon repas.

Marjorie, quant à elle, essuie les excréments
Parsemant le fessier de la personne âgée ;
En ce jour elle veut que soit immaculée
La patiente esseulée qui chantonne en dormant.

Ses yeux brûlent un peu, mais que faire à présent
Contre la volonté de nos deux assemblées
Et puis des citoyens qui ont délibéré ?
Seulement ce que fait Marjorie en pleurant.

Des agents de l'état vont venir aujourd'hui
Pour tuer cette dame et deux de ses amis.
Dans son rêve Marianne est une jeune enfant
Blottie entre les bras de ses parents aimants.


lundi 3 avril 2023

Les souris du Golgotha


Les souris du Golgotha

Épopée des peuples muridés



En un bien mauvais jour, en un certain pays,
S'affolait sans recours une mère souris.
Son entière journée, elle l'avait passée
À se claquemurer, inquiète et agitée.
Elle cachait cela pour le bien des enfants
Et taisait son état tout en les reprenant :
« Calmez-vous donc un peu, il n'arrivera rien !
Et puis tenez-vous mieux, tous ces tracas sont vains !
Et toi c'en est assez, dit-elle à son mari,
Tu devrais essayer d’apaiser les petits.
Nous avons des ennuis et toi tu restes là !
Tes soucis, tu les fuis, cela ne m'aide pas. »
Le mari fort marri de son inaptitude
À aider son aimée tremblante d'inquiétude
S’écria « Il suffit ! » et sortit pour chercher
Hors de son doux terrier la source du danger.

Si le monde pour nous semble être dangereux,
Qu'est-il pour la souris ? Le plus odieux des lieux ?
Pourtant Monsieur Souris, s'en remettant à Dieu,
Jaillit hors de son trou tel un combattant preux,
Mais il eut le bon sens de calmer ses ardeurs,
Aiguisant sa prudence au rythme de sa peur.
Il entendit des pas, des rumeurs et des chants,
Des cris désespérés puis des gémissements,
L'affreux bruit du trépas qui succède aux tourments
Et le rire sans joie qui secoue le méchant
Puis le son du marteau qui donne la cadence
Aux lazzi des passants alimentant leurs vices
En jouissant des douleurs de l'objet du supplice
Dessous les gras corbeaux venus faire bombance.

La souris se disait : « Cela n'est pas nouveau !
Les humains sont ainsi lorsqu'ils sont en troupeaux :
Ils aiment se moquer et aussi humilier
Ou alors torturer avant de massacrer ;
Mais ils sont si joyeux, voilà qui est curieux !
Même les plus furieux me semblent presque heureux... »
Et la brave souris cheminait doucement ;
Elle avait pressenti un désastre imminent.

Ce fut vers le sommet du mont qu'elle arpentait
Qu'elle eut le sentiment qu'un destin l'attendait.
Monsieur Souris pensa à sa chère moitié
Et à ses beaux enfants qui faisaient sa fierté ;
Il puisa du courage au cœur de son amour
Puis reprit le chemin qu'il suivit sans détour :
Notre ami n'était pas de ces gens que l'on berce
Avec des songes creux que la bise disperse.

Parmi les crucifiés, il se trouvait un homme ;
Pour un peu la souris aurait même dit « l'homme ».
Il semblait n'être rien mais aussi être tout
Et plus rien n'était vain car il vous aimait vous.
Monsieur Souris savait mais ne crut pourtant pas
Que l'on pût désirer tuer cet homme-là.
Quelqu'un s'était trompé, ah oui c'était cela !
Ils s'en apercevraient, reviendraient sur leurs pas !
Mais tous les spectateurs racontaient des histoires
Et ne s'interrompaient que pour servir à boire.
Alors Monsieur Souris n'y tint plus et cria
Mais les gens n'écoutaient rien d'autre que leur voix.
Monsieur Souris pleura des larmes d'amertume
Lorsque les bons bourgeois brossèrent leurs costumes
Pour aller se vanter auprès de leurs amis
D'avoir contribué à tuer l'ennemi
De tout le genre humain qu'il voulait convertir
À ses sottes idées pour mieux le pervertir.

Tout seul Monsieur Souris s'approcha du mourant
Mais il n'en pouvait plus et courait en pleurant
Quand un sursaut d'orgueil fit éclater sa rage
Et libéra enfin son amour de sa cage !
Alors Monsieur Souris vint s'en prendre à la croix
Et de ses pauvres dents voulut ronger son bois.
Il hurla et lutta, combattit et cria
Avec tous les moyens que lui donnait son corps
Tandis que des passants riaient de ses efforts,
Pariant que la croix vaincrait le cancrelat.
Il y fendit ses dents, y blessa ses mâchoires
Mais jamais ne céda devant le désespoir
Jusqu'à ce qu'un soldat eut laissé libre cours
À sa laide pitié, à son atroce amour
Pour tuer l'animal du bout de sa sandale
Mettant le point final à l'étrange scandale.
Et ainsi, mes amis, dans ce complet mépris,
S'acheva le destin de la pauvre souris.

Quand je dis « s'acheva », il ne faut pas me croire
Car ce n'est pas ainsi que s'achève l'histoire.
Notre héros-souris a retrouvé ses dents
et s'en sert pour manger les plus doux aliments.
Il vit en compagnie de sa tendre moitié
Qui pour l'éternité partage sa fierté
D'avoir, tout aussi seul que l'était le Sauveur,
Lutté contre le mal en combattant la peur.
En commémoration de son étrange exploit
Et de sa bonne action, la souris vient parfois
Pour aider un enfant qui s'est trouvé blessé
Mais a su être grand devant l'adversité.
Aux petits courageux qui perdent une dent
En rongeant vaillamment le fil de l'existence
Et savent rester preux, elle offre en récompense
Le sceau de l'innocent : un joli sou d'argent.

H.G.
Avril 2023

L'Avenue du Ciel (table des matières)

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lundi 27 février 2023

Maxime pascalienne


Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point et il cherche en tous lieux,
mais il crie à foison quand la raison l'emmène au loin et le perd dans les cieux :
le monde est sa prison ! Pourquoi fouiller tous ses recoins jusqu'à devenir vieux ?
Lui cherche sa maison, l'ultime fin de ses besoins : c'est le cœur qui sent Dieu.


dimanche 19 février 2023

Maxime : Heureux les tièdes (4)

 

Comment ne pas trembler devant tant de grandeur, ni être émerveillé par autant de candeur ? Tombe à genoux, lecteur, car je vais révéler l'incroyable secret de sa sérénité : dans ce vaste univers que Dieu créa d'un souffle, rien ne vaut le bourgeois, ni même sa pantoufle.


Heureux les tièdes

Maximes et autres moralités

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jeudi 16 février 2023

Maxime : Heureux les tièdes (3)

 

Pour les dégénérés, la voie de la violence ; pour les régénérés, la paix de la patience ; pour le vaste troupeau, le vide et la grisaille, mais le sage bourgeois se rit de ces canailles car dans son monde à lui n'existent que les nombres, et les êtres vivants n'en sont rien que les ombres.


Heureux les tièdes (4)

Maximes et autres moralités

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lundi 13 février 2023

Maxime : Heureux les tièdes (2)

 

À qui cherche la guerre, il échoit le combat ; à qui cherche la paix, il advient le combat. Peu importe à la vie qu'on aime ou qu'on haïsse : sa réponse est toujours de nous montrer la lice. Comment, devant cela, s'empêcher d'admirer le si sage bourgeois, de ces deux maux gardé ?


Heureux les tièdes (3)

Maximes et autres moralités

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mercredi 8 février 2023

Maximes et autres moralités

 Ce sommaire va regrouper les textes à prétention moralisatrice que je commets parfois ; ils ont au moins l'avantage d'être courts et s'inscrivent dans un genre littéraire bien connu des francophones. J'espère parvenir à avoir autant d'humour que mes illustres prédécesseurs.

Mammon

Jour de fête

Pep talk

Les sur-marins

I.V.S.

Une vie moderne

Heureux les tièdes

Heureux les tièdes (2)

Heureux les tièdes (3)

Heureux les tièdes (4)

Maxime pascalienne

Mehr Licht

Maxime genrée

Maxime prudente


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