jeudi 31 août 2023

Mesure sociale


                 Il était une fois, dans un pays joyeux, un peuple très heureux car ses maîtres étaient bons. Jour après jour, les esclaves œuvraient dans les champs à faire pousser une plante nommée « liberté ». Une fois récoltée, elle était emballée sous vide avant d'être entreposée dans les hangars des maîtres, prête pour l'expédition.

Nul n'était malheureux dans ce doux pays car tous y étaient égaux : on ne comptait que des esclaves parmi la valetaille. Les plus méritants d'entre eux se voyaient attribuer des rations particulières et des signes distinctifs puis devenaient contremaîtres, chargés de surveiller le travail des autres esclaves.


S'il existait un problème dans ce beau pays, c'était celui des chaînes. Chacun se plaignait de ses poignets ou de ses chevilles blessés et on ne comptait plus les chiffons distribués par les contremaîtres médicaux aux esclaves presque estropiés par l'étendue et la gravité de leurs plaies. Or, les chiffons coûtaient très cher aux maîtres et les moins riches d'entre eux avaient déjà dû rogner sur quelques menus plaisirs.

Un peu ennuyés, les maîtres constituèrent une équipe d'esclaves scientifiques pour résoudre ce problème et augmentèrent leurs rations afin de les stimuler. Après bien des calculs et force conciliabules, l'équipe rédigea toute une série de rapports démontrant que c'étaient les angles des menottes qui blessaient les esclaves, et qu'il fallait donc leur faire porter des bracelets ronds.

Ce fut au tour des esclaves techniciens d'entrer dans la danse. Ils créèrent des moules pour les nouveaux anneaux, rendant ainsi des centaines d'esclaves forgerons disponibles pour le travail des champs. En effet, quel besoin aurait-on eu de tels spécialistes suralimentés alors que n'importe quel imbécile pouvait travailler dans les usines de fabrication d'anneaux, et cela pour presque rien ?

Satisfaits de ce résultat, les propriétaires firent ériger par le plus célèbre des esclaves artistes une statue des scientifiques prosternés au pied de leurs maîtres afin de les honorer. Ils retournèrent alors vaquer à leurs loisirs bien mérités après tant de travail accompli.

Ce fut ainsi, mes chers amis, que notre pays devint encore plus heureux qu'il ne l'était auparavant. Bénissons nos maîtres, car ils sont justes et bons.


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mardi 1 août 2023

L'aurore aux sabots de rose


La biche de l'aurore a pointé son museau
Là-bas très loin à l'est, juste entre les feuillages
Et puis un peu plus près, entre ces deux nuages
Comme elle franchissait la mer comme un ruisseau ;

Ses tout petits sabots, en effleurant les eaux,
Y traçaient de grands arcs qui rejoignaient le ciel
Et les fleurs s'entrouvraient dans un parfum de miel
À la vue de son corps courbé comme un roseau,

Et elle a lapé là, oui, là, tout près de moi
Tout le sel que mes pleurs y avaient répandu
Et elle a retrouvé mon sourire perdu
En rendant à mon cœur et la joie et la foi.

Note : Dans la présentation du psaume 22, on peut lire ces mots : Sur « la biche de l'aurore ». C'est ce titre qui est à l'origine du poème qui précède.


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