samedi 16 juillet 2022

DAFB 8 - Le maître qui venait de loin


        Ce jour-là, alors que je rendais visite au maître de mort, j'aperçus un groupe de moines en grand conciliabule, attitude qui ne correspondait guère aux habitudes que leur avait inculquées leur enseignant peu orthodoxe. Surpris, je m'approchais d'eux pour les surprendre en plein bavardage.
        Oh, que mon lecteur se rassure, ils ne parlaient ni de guerres, ni de chefs d'état, ni de ministres ; ni de femmes, ni d'alcool, ni de lieux interdits à un moine ; ni de fortune, ni de commerce, ni de récoltes ; ni de parures, ni d'athlètes, ni de spectacles. Non, ils parlaient d'un religieux qui était arrivé quelques temps auparavant d'une contrée fort lointaine et s'était installé tout près d'eux :

        -Alors, l'as-tu interrogé sur la doctrine ?
        -Non, je n'ai pas osé. Et toi ?
        -Moi non plus.

        Telle était en substance la teneur de leurs propos. Comme j'essayais à l'époque de comprendre les mystères de leur religion avec un succès très restreint, je l'avoue, je fus immédiatement intéressé par ce nouvel arrivant et m'empressais de m'enquérir du lieu où il résidait. Les moines me renseignèrent avec beaucoup de diligence et, peu de temps après, je pris la route pour rendre visite au maître qui venait de loin. Fort heureusement, il s'était assez rapproché pour que j'eusse moins d'une lieue à parcourir pour le trouver.

        Alors que j'arrivais près de la grotte que l'on m'avait indiquée, je me blessais au pied sur un éclat de pierre qui se trouvait là. Après avoir appliqué sur la plaie quelques herbes dont on m'avait appris les vertus médicinales, j'achevais ma promenade studieuse et parvins aux alentours de la thébaïde de l'ermite. À peu de distance de celle-ci, je vis un moine assis en méditation et, suivant ma bonne habitude, j'attendis à l'écart.
        Le religieux, qui était était assez grand selon les normes locales et devait faire environ ma taille, était fin sans être émacié et ses traits réguliers n'offraient aucune particularité remarquable. Son chapelet, que j'aurais juré fait de gros grains de métal reliés par une forte chaîne, défilait lentement entre ses doigts, rythmant sans doute la récitation d'un mantra, l'une de ces étranges formules dont quelques sectes s'étaient fait une spécialité. Comme il arrivait au bout de sa récitation, je me levais un peu péniblement, préparant une longue litanie d'excuses pour l'implorer de pardonner mon attitude grossière.

        Soudain, un grand cri déchira l'air et le moine fut debout, tourbillonnant sur lui-même, sautant, virevoltant, se couchant puis bondissant tandis que des bruits de détonations ponctuaient ses gestes gracieux. C'était le son des pierres qui éclataient quand son chapelet venait les frapper avant de reprendre sa rotation entre ses mains expertes.
        Ce spectacle étonnant ne manqua pas de provoquer en moi quelques appréhensions et, un peu intimidé par cette démonstration martiale, je m'en détournais pour m'éloigner discrètement.

        Comme je me rapprochais du lieu de vie du maître de mort, je vis à nouveau le groupe de moines qui m'avait indiqué la route à suivre pour trouver le maître qui venait de loin et là, tous partirent d'un grand éclat de rire en voyant ma mine déconfite. Ce ne fut qu'alors que je compris de quel genre de farce je venais de faire l'objet.

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