mardi 19 janvier 2021

024 018

 Ce texte est la suite et peut-être la fin de 023 996.


    La célèbre chanteuse Kashmira Zen, née Huguette Plantier, était assise les yeux fermés devant un clavier électronique, dans son salon. Si le clavier ressemblait bien à Kashmira Zen, avec l'invraisemblable console de commande qui surmontait les touches, le salon, lui, ressemblait davantage à Huguette Plantier, avec ses murs blancs et nus, son sol carrelé, ses chaises métalliques et sa table en formica.

    Indifférente à ce qui l'entourait et dont elle ne savait rien, Kashmira Plantier, ou Huguette Zen, ainsi que vous l'entendrez, jouait les yeux fermés, vêtue en tout et pour tout d'une chemise de nuit, perdue dans cette pièce sans âme mais aussi sans I.A. ni réseau., la musique de « My Heart's in the Highlands » d'Arvo Pärt. Elle jouait en respirant vraiment, attendant le moment. Quand il vint, sa bouche s'ouvrit pour égrener les premiers mots du chant.

    C'était là, dans les Highlands écossais, qu'elle avait côtoyé Xavier Leduc pour la dernière fois. Xavier, qu'elle avait connu à l'école, puis au lycée, puis perdu de vue, puis retrouvé dans un rade où, droguée et ivre, elle faisait la joie des clients qui lui donnaient la pièce pour qu'elle jouât leur air favori. Xavier, qui l'avait raccompagnée chez elle et qui avait bien voulu la revoir alors qu'il était déjà un grand chercheur au sommet de sa gloire. Xavier, qui l'avait gentiment poussée dans une clinique pour qu'elle y fût désintoxiquée. Xavier, qui l'avait emmenée dans des endroits où l'on rencontre les gens qui comptent. Xavier, qui ne lui avait jamais demandé autre chose que d'être elle-même et d'être son amie. Xavier, qui était mort.

    Elle chanta son amour pour son ami décédé et nul ne saura jamais combien son chant était beau car, à l'instant précis où elle ferma les yeux, les nanomachines qui habitaient son corps ne l'habitèrent plus. Privées de la source d'énergie qu'était leur hôtesse et servante, elles cessèrent de fonctionner. Pour les contemporains de Kashmira Zen, la réalité était ce qui n'existait que dans vos têtes, que vous ayez fermé les yeux ou non ; elle venait de quitter leur monde pour rejoindre celui de son ami et leur monde cessa donc d'exister autour d'elle.

    Quand la sonnette retentit, elle était en train de jouer « Für Alina ». Elle n'ouvrit les yeux qu'alors et vit sans surprise que les masques étaient tombés et que la fête était finie. Les deux thanateurs, moins préparés à ce spectacle, échangèrent quelques mots en parcourant la pièce des yeux :

« - Cékoissa?
   - Saipa.
   - Liassai.
   - Liassaitou. »

Ils se tournèrent alors vers elle pour l'interroger :

« - Tékashmira ?
   - C'est bien moi, oui.
   - Tébonn, toi.
   - Merci.
   - Téprètt ?
   - A vrai dire, non. Je crois que je ne le serai jamais.
   - Cépagrav.
   - Nouonéprè.
   - Allévien, mémé.
   - Gentimémé. »



vendredi 15 janvier 2021

Noté sur mon pense-bête


Etre bien là, juste à sa place ;
Derrière soi, aucune trace ;
Devant ses pieds, aucun sentier ;
N'être que là, y être entier.