Ce
matin, un puits est apparu dans la cour. Enfin, quand je dis un
puits, cela ne décrit pas très bien la chose mais plutôt bien
quand même, il me semble. Je vous en laisse juge. Par contre,
j'emploie le verbe « apparaître » à dessein car il
décrit très exactement le phénomène. Avant, le puits n'était pas
là. Tout à coup, il fut là. Maintenant, il est encore là.
Il
y a un cylindre constitué de pierres de taille habilement
assemblées, deux colonnes de bois, un petit toit en planches
goudronnées. Entre le cylindre et le toit ainsi qu'entre les
colonnes se trouve une poulie avec un peu de corde entourée autour
d'elle, et davantage de corde s'enfonçant dans le cylindre.
Le
problème, voyez-vous, est que la poulie est au dessus du toit qui
est lui-même à l'envers, c'est-à-dire la pointe tournée vers le
bas. Le puits, lui, est au dessus de la poulie et son fût s'enfonce
dans le ciel d'une manière si vertigineuse que j'ai cru un instant
que c'était le sol. Je n'ose essayer d'imaginer l'endroit où doit
se trouver le seau.
Après
un instant d'hésitation sans doute due à la sensation de vertige
susmentionnée, j'ai fait ce que ferait toute personne dans son bon
sens en découvrant un tel édifice : j'ai mis la main sur la
poignée de la manivelle afin de puiser de l'eau. Toutefois, la
sensation de flottement ne me quittait pas, ce qui me poussa à
réfléchir un peu plus avant.
Une
question somme toute assez logique venait de traverser mon esprit.
Avais-je vraiment soif de cette eau ? Parce qu'enfin, si je
tournais la manivelle du puits, c'en était fini de nous,
n'est-ce pas ? Je veux dire, de nous tous, partout, et aussi de
toutes les choses à l'infini. Et cela à jamais, si vous suivez mon
raisonnement.
Je
crois que je vais aller regarder un peu la télé pour y chercher une
chose digne d'être regardée. Si je la trouve, peut-être n'aurai-je
plus soif de cette eau. Si je la trouve, peut-être pourrai-je
laisser ce puits en paix. C'est tout de même une grave
responsabilité que de décider de tout pour toujours.