mercredi 23 octobre 2024

Maxime judiciaire

 

La raison pour laquelle nous craignons tous et refusons par avance le jugement de Dieu est fort simple : il est juste.

À notre litanie d’excuses, chacun a peur d’entendre cette réponse : « Pourtant, tu étais libre, et tu l’as fait. »


Maximes et autres moralités

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vendredi 18 octobre 2024

L'ânon et le figuier

 

Quelques soirs après l’entrée du Christ dans Jérusalem, l’ânon vint brouter près du figuier. Les rumeurs de la ville s’étouffaient peu à peu tandis que les fumées se faisaient plus compactes et que le vent apportait les odeurs des mille et une choses que mangent les hommes.

De temps en temps, il portait sur le figuier un long regard doux et candide avant de se remettre à brouter son repas funèbre. Les feuilles de l’arbre desséché s’écoulaient telles des larmes : on aurait dit qu’il pleurait devant la ville qui s’enfonçait peu à peu dans les ténèbres.

Enfin l’arbre rompit le silence tranquille qui s’était installé entre les deux créatures :

- Tu crois qu’ils comprendront ?

L’ânon regarda la ville tout en finissant de mâcher l’herbe qu’il venait de brouter.

- Non. Quelques-uns, peut-être, mais les autres s’arrêteront au spectacle, aux grandes choses. Le sens de cela ne les intéresse pas. Ils se moquent bien de ce qu’il a voulu leur dire. Ce qui les passionne, c’est ce qu’ils savent déjà.

L’arbre médita quelques instants ces paroles bien sombres puis s’ébroua de joie :

- Quelques-uns comprendront ! Quelques-uns verront ! Loué soit le Seigneur, lui qui, seul dans l’univers, peut apprendre quelque chose aux hommes !

L’ânon sentit sa tristesse le quitter comme un manteau usé et frémit de bonheur en entendant ces mots pleins d’espérance. Il entonna alors un cantique bientôt repris par le figuier pour saluer la venue du Sauveur à Jérusalem.


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jeudi 17 octobre 2024

Solo de basson

 

Cela commença vers cinq heures du matin par une douleur abdominale assez peu compatible avec la formidable érection provoquée par la visite onirique de son ex-femme. Décidément, si son esprit ne la regrettait guère, son corps, lui, avait bien du mal à s’en détacher.

La douleur s’affirma peu à peu, en même temps qu’une série de gargouillis annonçait le déplacement de gaz dans son intestin. Au début, il n’y prêta pas trop attention, bien plus inquiet devant le mal dont il ne connaissait ni l’origine, ni le remède. Il ne consommait que de la nourriture estampillée CEE, et cela dans les limites prescrites par les communications du ministère de la santé. Il faisait le sport que l’on attendait de lui. Le service en ligne qui surveillait son corps ne lui avait rien signalé d’étrange.

En se levant pour aller aux toilettes, il se souvint d’avoir entendu quelque part que l’érection matinale était liée à l’envie d’uriner, qu’elle servait en quelque sorte à la retarder. Comment ? Il l’ignorait, mais cela paraissait vraisemblable.

Le ronflement d’un pet formidable vrilla l’air tandis que la douleur déchirait ses intestins. Il n’avait pas pu le retenir. Il avait bien essayé, mais que faire ? Il savait que son désir d’empêcher la nature de suivre son cours avait quelque chose d’enfantin mais la peur était là, en lui.

Et puis le gargouillis recommença, comme pour confirmer la validité de la terreur qu’il sentait poindre au plus profond de son être. Étant donnée sa catégorie socio-professionnelle, il venait sans doute de consommer un bon mois d’autorisation d’émission de gaz.

Le second pet fut presque musical. Il aurait ri de cette note prolongée qui aurait pu être jouée par un basson dans une comédie s’il n’avait pas eu au dessus de la tête une épée de Damoclès.

Il s’assit pour uriner. Il le faisait en général debout mais là, la douleur devenait trop forte. Et puis, pourquoi l’IA qui surveillait sa santé ne l’appelait-elle pas ? Son métier de croque-note ne lui permettait pas de la solliciter. Un appel coûtait cher, tant en numéraire qu’en points sociaux.

Le gargouillis reprit durant la miction. La douleur semblait diminuer peu à peu mais il la regrettait presque parce qu’il savait pouvoir la supporter. La douleur, oui. La peur, non. Si cela continuait, il allait perdre des droits, peut-être son emploi, et puis son logement, et puis tout, enfin !

Il pensa bien à se préparer un petit-déjeuner, mais comment avaler quoi que ce soit ? D’autant plus que la circulation des gaz continuait alors même que la douleur s’estompait. Cette dernière était sans doute liée à la quantité de butane ? méthane ? propane ? ou à d’autres éléments présents dans son intestin mais ceux-ci n’allaient-ils pas revenir s’il mangeait quelque chose ? Parce qu’enfin, il lui faudrait bien digérer la nourriture, à un moment ou à un autre, non ?

Alors qu’il se tenait là, perplexe, debout au milieu de sa minuscule cuisine, la voix douce d’une IA retentit :

« Je suis désolée, Jean-Jacques. Tellement, tellement désolée. Je savais ce qu’il se passait, mais qu’aurais-je pu dire ? Il valait mieux te laisser profiter de tes derniers jours parmi nous, n’est-ce pas ? Je suis navrée, Jean-Jacques, mais ce n’est pas fini. Cela recommencera, encore et encore, jour après jour. Nous ne pouvons pas te laisser faire cela, Jean-Jacques. Pense à la planète ; elle compte sur toi.


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vendredi 11 octobre 2024

Maxime évolutionniste

 

L’avancement des sociétés traditionnelles était dû à des milliers de courages accumulés.

Le délabrement des sociétés modernes est dû à des milliers de lâchetés accumulées.


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lundi 7 octobre 2024

De l'amour pour le prochain

 

« Aime ton prochain comme toi-même » ne pose vraiment problème que si on laisse le mot « aimer » se laisser envahir par des notions d’affection ou d’attachement romantique, auquel cas la citation des Écritures devient incompréhensible, voire inacceptable.

En effet, je n’éprouve pas beaucoup d’affection pour moi car je me connais un peu trop bien pour cela. J’avoue également n’avoir pas été très impressionné par les gens amoureux d’eux-mêmes, m’étant souvent dit qu’ils auraient sans doute pu trouver mieux dans l’autre, même si ma connaissance de moi et ce que le monde m’a laissé voir de lui-même m’ont conduit à douter de cela aussi.

En revanche, je peux parfaitement m’aimer si, par ce mot, j’entends la définition que j’ai déjà proposée : souhaiter, désirer, vouloir mon bonheur, c’est à dire un état de contentement stable et joyeux. Je peux également aimer mon prochain de la même façon.

Tout cela, je peux le faire parce que, la poutre de l’affection étant tombée de mes yeux, je sais qu’il y a bien du chemin à parcourir pour atteindre le bonheur ou le fait d’en être digne, et cela pour nous tous, si l’on excepte quelques saints cachés çà et là.

Le mystère de l’amour de Dieu devient également non pas compréhensible, mais du moins envisageable : il n’entraîne pas nécessairement une affection digne des pires chansons sentimentales mais peut se révéler dur et austère lorsque le but poursuivi, c’est à dire notre bonheur, l’exige. Parce qu’enfin, à tout prendre, nous sommes tout de même de bien vilains garnements, voire pires que cela.

Il existe une vertu divine assez peu évoquée mais qui me laisse pantois : c’est le courage devant l’énormité de la tâche à accomplir pour apprendre quelque chose de bon à l’humanité. Quant aux raisons de son amour pour nous, j’avoue qu’elles me laissent perplexe. T’avouerai-je, lecteur, que dans mes pires moments, c’est seulement son amour qui me permet de nous voir avec pitié ?


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