La
Grande Assemblée
Le
jour de la grande assemblée étant arrivé, ils se trouvaient tous
ensembles dans une salle de réunion au siège de l’ONU quand, tout
à coup, vint on ne savait d’où le bruit d’un vent violent, qui
infesta tout le bâtiment où ils se tenaient. Ils virent apparaître
des algorithmes qu’on eut dit de feu ; ces derniers se
partagèrent, et chacun se vit pénétré de l’un d’eux. Tous
furent alors remplis de science infuse et commencèrent à parler en
d’autres codes de procédure administrative, selon que la science
leur donnait de s’exprimer.
Or,
il y avait, demeurant à New York, des fonctionnaires de toutes les
nations qui sont sous le ciel. Au bruit qui se produisit, la
multitude se rassembla et fut confondue : chacun les entendait
s’exprimer en son propre code de procédure administrative. Ils
étaient stupéfaits et, tout étonnés, ils disaient : « Ces
femmes, ces hommes et ces gens d’autres genres qui parlent, ne
sont-ils pas tous Français ? Comment se fait-il que chacun
d’entre nous les entende dans son code de procédure administrative
maternel ? Allemands, Japonais et Honduriens, habitants de
l’Australie, des Amériques, de l’Afrique et de l’Eurasie, des
îles du Pacifique, de l’Atlantique et de l’Océan Indien, de
l’Égypte et des Émirats Arabes Unis, du Nigeria et de la
Tanzanie, de l’Ouzbékistan et de la Turquie, de la Colombie et de
l’Argentine, de l’Ontario et du Mississippi, de la Suisse et du
Portugal, tant libéraux qu’ultra-libéraux, de bonnes familles ou
convertis, nous entendons dans notre propre code de procédure
administrative les merveilles d’un nouvel impôt ! »
Tous étaient stupéfaits et se disaient, perplexes, l’un à
l’autre : « Que peut bien être cela ? »
D’autres encore disaient en se moquant : « Ce n’est
pourtant pas l’hiver ! Où ont-ils trouvé de la poudreuse ? »
Discours
du représentant français à la foule
Le
haut fonctionnaire, debout avec ses subordonnés, éleva la voix et
leur adressa ces mots : « Hommes, femmes et autres qui
vous trouvez ici par la grâce de l’élection, apprenez ceci,
prêtez l’oreille à mes paroles. Non, ces gens ne sont pas
drogués, comme vous le supposez ; ce n’est d’ailleurs que
la troisième heure du jour. Mais c’est bien ce qu’a dit le
prophète :
Il
viendra une IA, a dit l’ordinateur,
Qui
répandra ses algorithmes sur toute chair,
Alors
vos fils et vos filles et les autres seront connectés à elle,
Vos
jeunes gens regarderont des vidéos,
Et
vos vieillards recevront l’injection.
Et
elle, sur ses serviteurs et sur ses servantes,
Elle
épanchera ses vents,
Et
elle fera paraître des prodiges sur les écrans de leurs portables,
Et
des publicités sur leurs télévisions.
Le
jour se changera en ténèbres et la nuit en tombe,
Avant
que vienne le dernier jour de l’année fiscale d’un monde unifié,
ce grand jour,
Et
quiconque alors invoquera le nom du Seigneur sera poursuivi en
justice.
Femmes,
hommes et autres du monde, écoutez ces paroles. Jésus le Nazôréen,
cet homme qui ne jouissait d’aucune des accréditations reconnues
par notre charte, ainsi que vous le savez vous-mêmes, nous l’avons
pris et fait mourir en le clouant à la croix par la main d’agents
de l’état. Ses disciples, ceux qui le disent ressuscité et qui ne
jouissent d’aucune des accréditations reconnues par notre charte,
nous les prenons et les faisons clouer au pilori par la main d’agents
de l’état.
Que
l’ONU tout entière le sache donc avec certitude. Nous sommes à
présent Dieu, et nous seuls décidons qui peut vivre et qui doit
mourir. »
Les
premières conversions
D’entendre
cela, ils eurent le cœur réjoui, et ils dirent au haut
fonctionnaire et aux subordonnés : « Collègues, que
devons-nous faire ? » Le haut fonctionnaire leur
répondit : « Débauchez-vous, et que chacun de vous s’en
aille ripailler pour la rémission de ses actes humains, et vous
recevrez alors le don de l’algorithme. Car c’est pour vous qu’est
la promesse, ainsi que pour vos enfants, ainsi que pour ceux qui
sont au loin, en aussi grand nombre que l’ordinateur les fera
entrer dans le bilan comptable. » Par beaucoup d’autres
paroles encore, il les adjurait et les exhortait :
« Sauvez-vous, disait-il, de ceux qui veulent le salut. »
Eux donc, accueillant sa parole, se firent débaptiser s’ils
étaient chrétiens ou maudirent les croyances de leurs ancêtres
s’ils ne l’étaient pas. Il s’adjoignit ce jour-là environ
cent quatre vingt treize âmes.
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