Cela
commença vers cinq heures du matin par une douleur abdominale assez
peu compatible avec la formidable érection provoquée par la visite
onirique de son ex-femme. Décidément, si son esprit ne la
regrettait guère, son corps, lui, avait bien du mal à s’en
détacher.
La
douleur s’affirma peu à peu, en même temps qu’une série de
gargouillis annonçait le déplacement de gaz dans son intestin. Au
début, il n’y prêta pas trop attention, bien plus inquiet devant
le mal dont il ne connaissait ni l’origine, ni le remède. Il ne
consommait que de la nourriture estampillée CEE, et cela dans les
limites prescrites par les communications du ministère de la santé.
Il faisait le sport que l’on attendait de lui. Le service en ligne
qui surveillait son corps ne lui avait rien signalé d’étrange.
En
se levant pour aller aux toilettes, il se souvint d’avoir entendu
quelque part que l’érection matinale était liée à l’envie
d’uriner, qu’elle servait en quelque sorte à la retarder.
Comment ? Il l’ignorait, mais cela paraissait vraisemblable.
Le
ronflement d’un pet formidable vrilla l’air tandis que la douleur
déchirait ses intestins. Il n’avait pas pu le retenir. Il avait
bien essayé, mais que faire ? Il savait que son désir
d’empêcher la nature de suivre son cours avait quelque chose
d’enfantin mais la peur était là, en lui.
Et
puis le gargouillis recommença, comme pour confirmer la validité de
la terreur qu’il sentait poindre au plus profond de son être.
Étant donnée sa catégorie socio-professionnelle, il venait sans
doute de consommer un bon mois d’autorisation d’émission de gaz.
Le
second pet fut presque musical. Il aurait ri de cette note prolongée
qui aurait pu être jouée par un basson dans une comédie s’il
n’avait pas eu au dessus de la tête une épée de Damoclès.
Il
s’assit pour uriner. Il le faisait en général debout mais là, la
douleur devenait trop forte. Et puis, pourquoi l’IA qui surveillait
sa santé ne l’appelait-elle pas ? Son métier de croque-note
ne lui permettait pas de la solliciter. Un appel coûtait cher, tant
en numéraire qu’en points sociaux.
Le
gargouillis reprit durant la miction. La douleur semblait diminuer
peu à peu mais il la regrettait presque parce qu’il savait pouvoir
la supporter. La douleur, oui. La peur, non. Si cela continuait, il
allait perdre des droits, peut-être son emploi, et puis son
logement, et puis tout, enfin !
Il
pensa bien à se préparer un petit-déjeuner, mais comment avaler
quoi que ce soit ? D’autant plus que la circulation des gaz
continuait alors même que la douleur s’estompait. Cette dernière
était sans doute liée à la quantité de butane ? méthane ?
propane ? ou à d’autres éléments présents dans son
intestin mais ceux-ci n’allaient-ils pas revenir s’il mangeait
quelque chose ? Parce qu’enfin, il lui faudrait bien digérer
la nourriture, à un moment ou à un autre, non ?
Alors
qu’il se tenait là, perplexe, debout au milieu de sa minuscule
cuisine, la voix douce d’une IA retentit :
« Je
suis désolée, Jean-Jacques. Tellement, tellement désolée. Je
savais ce qu’il se passait, mais qu’aurais-je pu dire ? Il
valait mieux te laisser profiter de tes derniers jours parmi nous,
n’est-ce pas ? Je suis navrée, Jean-Jacques, mais ce n’est
pas fini. Cela recommencera, encore et encore, jour après jour. Nous
ne pouvons pas te laisser faire cela, Jean-Jacques. Pense à la
planète ; elle compte sur toi.
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